Liste de 2ème sélection

Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Actes Sud, 2013, 153 p.

Meursault : « El-Merssoul ! »

Après Meursault de Camus, Kamel Daoud donne la parole au frère de l’Arabe assassiné sous le soleil, dans un monologue romanesque, si l’on peut le nommer ainsi, s’adressant à un « tu » qui nous interpelle évidemment. Lecteur et narrateur se trouvent l’un en face de l’autre, soir après soir  dans un bar à Oran, buvant pour se rappeler le passé et par-là même, paradoxalement l’oublier.
Tout au long du roman, Haroun (le frère de « l’Arabe » tué) manifeste sa colère à l’égard de l’absurdité des événements avouant que son frère est « un martyr […] venu trop longtemps après l’assassinat », frère  « décomposé» pour que le livre ait le succès qu’il a eu.
Dans ce roman, l’Arabe n’est plus l’Arabe, il a un nom, c’est Moussa, pendant que le meurtrier est un certain Meursault qui ressemble à des milliers de Meursault. Haroun, vieil homme, ne se venge pas seulement par la parole, mais plus encore, il raconte comment lui et sa mère ont tué un Français, un autre Meursault dans des circonstances absurdes, « l’autre [étant] une mesure que l’on perd quand on tue ».
« M’ma », (la mère), Moussa et Meursault (trois « M ») conduisent à la Mort virtuelle de Haroun qui n’existe que pour parler de son frère, ou de la présence dominatrice étouffante de sa mère qu’il désire tuer elle-aussi, avec la promesse de nous inviter à ses funérailles. Meriem, l’unique « M » salvateur, la femme qu’il a tant aimée et a voulu chérir, s’absente malheureusement de sa vie d’une façon absurde et comme pour asseoir une absurdité incontournable et définitive.
Haroun se répète le verset du Coran qui résonne en lui : « Si vous tuez une seule âme, c’est comme si vous aviez tué l’humanité entière » ; ne serait-ce pas le message que transmet Meursault « El-Merssoul »(le messager) à toute l’humanité ?

Joanna Zoghaib
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue e et Littérature Françaises


L’Amour et les forêts
Éric Reinhardt
Gallimard, 2014, 368p.

Le tragique au féminin

Sensible aux peines des femmes harcelées par leurs époux, Éric Reinhardt, romancier et éditeur d’art français, raconte dans son dernier roman L’Amour et les forêts, la confession d’une jeune femme étouffée par les angoisses d’une relation conjugale littéralement martyrisante.
Au travers d’une lettre qu’elle lui aurait expédiée, (« l’élan même de cette lettre, de nature composite, intimidé et audacieux, respectueux et cavalier, sérieux et désinvolte, intelligent et ingénu voire enfantin »), Bénédicte Ombredanne, habitée par des paradoxes et des contractions, suscite l’intérêt du romancier et devient sous peu l’héroïne de son roman à venir…
Suite à cette lettre, ils choisissent de se retrouver une première fois à Paris où ils évoquent la littérature et les ouvrages du romancier. Leur second rendez-vous a lieu quelques mois plus tard ; Bénédicte se libère alors de fardeaux oppressants qui la déchirent profondément. Ainsi, le romancier devient-il le témoin d’humiliations et d’offenses qu’elle affronte jour et nuit auprès de son mari cauteleux et hargneux, et qu’elle relate comme dans le souffle d’une lente agonie. En effet, le romancier s’en empare en écrivant de très longues phrases sans ponctuation et quasiment sans retour à la ligne, donnant l’impression d’une souffrance sans fin…
Comme contrecoup à une énième crise, Bénédicte fixe un rendez-vous avec un étranger s’étant présenté sous le pseudo @playmobil677, en réalité Christian. Le lendemain, elle le rejoint chez lui, dans une demeure au bord d’une forêt, où elle vit une aventure qui deviendra « la plus belle journée de sa vie ».  Toutefois, inapte à fuir sa situation d’épouse et de mère, elle rompt brusquement avec Christian pour se claustrer à nouveau dans la servilité d’un mari infâme. Le souvenir de Christian devient une échappatoire, dans laquelle paradoxalement elle s’enfonce jour après jour pour s’anéantir.
Ce roman puise sa vigueur romanesque de la tragédie de Bénédicte Ombredanne. Ainsi, le premier chapitre devient-il l’équivalent du prologue et la suite, une formidable mise en abyme des motivations de l’écriture doublée des motifs du sujet lui-même. Cependant, le lecteur ne saurait échapper à l’impression qu’il y a là à voir peut-être aussi un avatar postmoderne de la tristement bien notoire Emma Bovary…

Tamara Tadros
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises


L’Ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Éd. Gallimard, 2014, 211p.

Entre l’alpha et l’oméga

Certes l’existence de l’enfer a été relativisée par certaines religions mais la notion de jugement dernier n’a pas fini d’enflammer certaines imaginations chrétiennes destinées au paradis, sauf faute de parcours. Raison pour laquelle l’anticipation de l’apocalypse est devenue quasiment une obsession aussi bien chez les réalisateurs que chez les auteurs. Le dernier en date est Benoît Duteurtre qui partage une vision délirante et hilarante d’un paradis dont l’administration pragmatique est pour le moins suspecte !
Tout commence le jour où Simon, rapporteur de la commission des libertés publiques chargé de veiller à la préservation des données personnelles, participe à un débat radiophonique censé débattre de la pénalisation des consommateurs de pornographie sur internet. Or, pour une phrase mal interprétée, prononcée hors antenne, on l’accuse de discrimination raciale et sexuelle. Dès lors, il voit ses rêves de prospérité s’écrouler et devient le bouc-émissaire d’un combat opposant les femmes et les gays aux mâles hétérosexuels, au nom d’une démocratie transparente. Croulant sous la pression médiatique et tourmenté par la révélation de ses escapades érotiques sur internet, il décide de rédiger son autocritique. Malheureusement, victime d’un geste malencontreux, il meurt son volume de Candide à la main. Vivant sa mort comme une libération, il a tôt fait de se relever de ses illusions en constatant qu’il se trouve dans l’au-delà, imitation parfaite de la vie terrestre, en attendant son transfert (ou pas d’ailleurs) au paradis qu’il se représentait. À bout de découvertes étonnantes et ayant raté son test de passage, il ne peut que se féliciter de faire l’expérience d’un enfer qui se révèle être le meilleur des mondes possibles !
Cette vision future peut paraître exagérée mais elle ne pouvait mieux éclairer le présent. L’auteur dénonce une société robotique qui sacrifie l’originalité pour fustiger les Hommes publiquement à la moindre faute en vue de les éduquer et de contrôler leur libido ! Les associations prolifiques des droits de la femme dénoncent la domination masculine en y opposant leur propre volonté de domination ! Tant de débats anodins qui détournent des véritables complots politiques sous la bénédiction de l’ONU qui se donne conscience à peu de frais. En outre, la vie quotidienne est régie par les gains de productivité, le contrôle démographique et le monopole de certains pays. Les villes ont perdu de leur beauté d’antan et c’est une langue sans rimes, déformée, qui fait le buzz ! Les jeunes ne rêvent plus que de célébrité maladive et aliénante qu’ils admirent dans les journaux !
Finalement, c’est à bout d’images déroutantes, que des questions existentielles nous viennent à l’esprit et nous sommes presque soulagés de savoir que l’enfer est au paradis ce que la préhistoire est à la modernité.

Rana Bilal-Dib
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises


Le Roi disait que j’étais diable
Clara Dupont-Monod
Éd. Grasset, 2014, 225p.

C’est elle... la forteresse !

Le Roi disait que j’étais diable. Mais pourquoi le roi Louis VII se blâme-t-il? Est-ce à cause de son amour pour une « diablesse » ?
Avec ce roman, Clara Dupont-Monod – intéressée par le vieux français –, signe son deuxième roman historique à la suite de La Passion selon Juette. Elle choisit pour son nouveau roman un titre qui pousse le lecteur à le lire : c'est une partie de l’histoire d’une « légende » du Moyen Âge, Aliénor d’Aquitaine, l’épouse de Louis VII, roi de France de 1137 jusqu'à l’annulation du mariage en 1152.
Le Roi disait que j’étais diable évoque plusieurs causes, surtout psychiques et politiques. Psychiquement, une grande brèche existe entre Louis VII et son épouse Aliénor. Elle est une femme de pouvoir, guerrière, forte, violente, têtue, irréligieuse, une femme qui aime le luxe et veut se libérer de son époque. Par contre, Louis VII est très religieux, pur, modeste et c’est un homme de politique et de négociations. Malgré ces contradictions, ce roi a la capacité d’accepter l’autre : il a toléré que sa femme et sa famille soient antipapes et se soient opposés à l’Église.
La personnalité d’Aliénor est très complexe, mais l’auteur a su entrer dans sa peau, pour nous faire découvrir une femme « narcissique » et orgueilleuse, souffrant de la « nostalgie » de son pays du Sud. Quant à Louis VII, fort amoureux de sa femme, il a défié tout le monde, y compris l’Église et ses idéaux pour satisfaire Aliénor. À cause de cet amour, et plutôt que vers une guerre pour Dieu, il s’est tourné vers les guerres contre les hommes (en particulier les bourgeois). C’est peut-être pour cela qu'il se sent comme Satan exilé du Paradis. En défiant ses intimes convictions, et surtout avec la froideur des sentiments de sa femme, le roi s’est ainsi transformé en diable – amer cadeau…
Quant à la politique, chaque époque a la sienne propre. Au Moyen Âge, surtout en Europe, politique et religion étaient intimement liées, puisque l’Eglise interférait dans les affaires politiques. À travers Aliénor, le roman nous montre l’hypocrisie des hommes de religion de ce temps-là, uniquement préoccupés à faire fortune et à servir les seuls intérêts politiques au mépris des règles sacrées de l’Église.
On voit à quel point le fait de mêler religion et politique est un acte dangereux, parce que les hommes de politique religieuse peuvent détruire le monde au nom de la religion. C'est la situation à laquelle est actuellement confronté le monde arabe. De plus, il ne faut pas mêler l’amour à la politique puisque le cœur est un mauvais maître…
Ce roman fort attachant, mettant en scène de personnages historiques, est très actuel dans la mesure où il fait allusion à des idées et des problèmes modernes.

Iman Mohamed Labib
Université Ain Shams
Faculté Al Alsun
Département de Français


L’Ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Éd. Gallimard, 2014, 211p.

L’Ordinateur du Paradis : Get your ticket for paradise !

Dans L’Ordinateur du Paradis, Benoît Duteurtre, romancier, essayiste et critique musical français, nous offre une critique de cette époque de communication à outrance où Internet ne menace pas seulement la vie privée des personnes mais aussi la sécurité des États (Wikileaks). À première vue, ce livre parle de la vie après la mort pour intégrer ensuite d'autres sujets tels que la protection de la vie privée, la pornographie, le féminisme et la modernisation de notre monde.
L'histoire : un virus informatique se met à dérégler les mails et à transférer les infos d’un utilisateur à l’autre "comme s’ils ne voulaient pas mourir ''. De ce bug informatique, Benoît Duteurtre fait le point de départ de son roman. Sur le web, rien ne disparaît jamais complètement : c’est ce qui horrifie Simon Laroche, rapporteur de la Commission des Libertés publiques, puisque celui-ci passe son temps au bureau à surfer sur des sites porno et à regarder sa favorite ''Natacha''.
La phrase ''La cause des femmes ! La cause des gays ! J'en ai marre de ces agités qui s'excitent pour des combats déjà gagnés" prononcée lors d’un débat radiophonique avec la porte-parole de « Nous, en tant que femmes ! » et Boris Marteen, président de « Simplement Gays » a complètement basculé le destin de Simon Laroche. Le paradis technologique devient pour lui un vrai cauchemar. Dès le premier chapitre, on ne cesse de se demander quel péché Simon a commis pour mériter le traitement qu'il reçoit. Cette question nous pousse à poursuivre la lecture jusqu'au bout.
Ce qui attire particulièrement dans L’Ordinateur du paradis, c’est cette originalité du récit vu de deux points de vue différents : celle des femmes qui représentent le mouvement "Nous, en tant que femmes" et qui sont contre la pornographie sur Internet et celle des hommes qui sont tout à fait contre ce manifeste puisque 90 % des consommateurs de pornographie sont des hommes. Quel homme ne serait pas horrifié de découvrir qu’on veut bannir le porno du net et traquer ses amateurs ?
Un magnifique roman qu'il faut lire absolument puisqu’il traite des sujets délicats auxquels on s’intéresse avec un style simple et léger, et surtout avec un enchaînement rapide des événements.

Rodaïna Karem Fouad
Université Ain Shams
Faculté Al Alsun
Département de Français


Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Actes Sud, 2013, 153 p.

Histoire d’un crime, hymne à l’amour

 «Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses.» (p. 11)
Il aura fallu attendre 71 ans pour que Haroun, frère de «l’Arabe» tué dans L’Étranger (1942), donne enfin la réplique à Meursault, le meurtrier de son frère. Dans Meursault, contre-enquête (Arles, Actes Sud, 2014), Haroun nous livre sa propre vision des faits.
Un parallélisme troublant avec l'œuvre de Camus s'annonce dès les premières lignes du récit. En effet, Kamel Daoud, auteur algérien de nouvelles dont Meursault, contre-enquête est le premier roman, n'hésite pas à reprendre la structure, voire des passages entiers de L'Étranger, en intégrant les désinences arabes à son œuvre, conférant à cette dernière une sorte de couleur locale: «M'ma», «zoudj» (p. 13), «chahid» (p. 15), «ouled» (p. 19)...
Contrairement à L'Étranger, où la mort de la mère est annoncée dès l'incipit, ici, «M'ma» est un personnage «trop présent». Face à la fade, simple et quasi-muette mère de L'Étranger, se dresse ici une femme logorrhéique, une tragédienne en puissance, s'autoproclamant « mère [du] martyr » Moussa (p.23). Elle élève Haroun dans la surprotection et la haine des «étrangers» qui ont tué son fils aîné. Cette mère dévoratrice émascule le fils qui lui reste : elle en fera un homme craintif, effacé, inapte envers les femmes, bizarre aux yeux de ses voisins…  Haroun tente de fuir la logorrhée maternelle en apprenant une langue qui n’appartiendra qu'à lui seul. La logorrhée de la mère ne serait calmée ni sa voracité rassasiée que lorsque Haroun l'aurait vengée.
Beaucoup de points communs peuvent être retrouvés entre L’Étranger et Meursault, contre-enquête : le mutisme final de la mère et cette sorte d’asile où elle passe ses derniers jours ; le narrateur qui ne connait pas l’âge de sa génitrice, qui lui rend des visites de plus en plus rares et parle déjà de son enterrement ; l’évocation du café au lait ; la haine du jour de congé (dimanche chez Camus, vendredi chez Daoud ; remarquez au passage le glissement vers les coutumes musulmanes).
Pourtant, les « correspondances » entre les deux œuvres sont parfois beaucoup plus explicites: Daoud reprend des syntagmes, des phrases, et même des passages entiers de L’Étranger en les adaptant à la couleur locale algérienne : « Un jour, l’imam a essayé de me parler de Dieu en me disant que j’étais vieux et que je devais au moins prier comme les autres, mais je me suis avancé vers lui et j’ai tenté de lui expliquer qu’il me restait si peu de temps que je ne voulais pas le perdre avec Dieu.» (p. 150) « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.»
L’auteur se laisse même aller quelquefois à faire des allusions, à pointer des références, voire des critiques littéraires de L’Étranger. Camus « écrit si bien que ses mots paraissent des pierres taillées par l’exactitude même. […] Son monde est propre, ciselé par la clarté matinale, précis, net, tracé à coups d’arômes et d’horizons. » (p. 12).
Le texte de Daoud évoque également d’autres œuvres de Camus, notamment Caligula, l’empereur fou, ainsi que le mythe de Sisyphe : « l’absurdité de ma condition […] consistait à pousser un cadavre vers le sommet du mont avant qu’il ne dégringole à nouveau, et cela sans fin. » (p. 57).
Ces passages, censés enrichir l’œuvre de Daoud, pourraient rebuter le lecteur qui les trouverait trop longs, trop répétitifs… Il en est de même pour le passage où Haroun plaint son frère Moussa dans l’incipit, qui pourrait, lui aussi, sembler trop étendu. Pourtant, ces obstacles sont rapidement dépassés, le style gagnant en fluidité et en verve à mesure que l’écriture avance. Il semblerait que l’auteur se serait laissé emporter par son imagination et son flot langagier une fois passées les premières pages. Un lecteur traditionnel serait dérouté, voire désemparé, face à l’absence de chronologie. En effet, le récit est formé d’épisodes, souvent distanciés dans le temps et l’espace ; et le lecteur pourrait lire chaque chapitre et même chaque épisode, indépendamment de l’autre. Mais ici, ce n’est qu’une question d’habitude.
Nous reconnaissons le journaliste révolté Kamel Daoud à ses longs questionnements sur la foi, la mort, le crime, l’amour et la langue elle-même. Haroun ne dit-il pas :
Je suis parfois tenté [de] […] grimper [au « minaret hideux »], là où s’accrochent les haut-parleurs, de m’y enfermer à double tour, et d’y vociférer ma plus grande collection d’invectives et de sacrilèges. […] Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse […]  Et là, je mourrai, lapidé peut-être, mais le micro à la main. (pp. 149-150)
Pour Haroun, la divinité est liée à rien de plus que la femme : « Peut-être, il y a bien longtemps, ai-je pu entrevoir quelque chose de l’ordre du divin. […] [« Ce visage »] était celui de Meriem. » (p. 150)
Le journaliste décrit de plus le schisme interne qui se crée en l’homme après avoir commis un crime : « Le crime compromet pour toujours l’amour et la possibilité d’aimer. J’ai tué et, depuis, la vie n’est plus sacrée à mes yeux.» (p. 101). Nous voyons bien que nous sommes en présence d’une œuvre profonde, complexe et sophistiquée, qu’on gagnerait à lire plusieurs fois. Ceux qui voudraient cantonner Meursault, contre-enquête à une simple allégorie de l’Indépendance algérienne découvriraient qu’ils commettent un contresens : Daoud reprend le mythe d’Abel et Caïn, les deux ennemis-frères. Pour lui, le meurtrier est autant une victime que le mort, car il perd une partie de lui-même, une partie de son humanité. En somme, pour Daoud, un assassinat est aussi un suicide, et son roman, un appel à l’amour.

Ange Al-Jalalati
Université Libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de français
Master II

Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Actes Sud, 2013, 153 p.

À la Recherche du Cadavre Perdu

Meursault, contre-enquête est le premier roman de Kamel Daoud, écrivain et journaliste algérien. Né en 1970 à Mostaganem, il vient de recevoir le Prix des cinq continents. Ce roman qui reprend L'Étranger de Camus, s’intéresse non pas à Meursault mais à la victime et à sa famille. Le héros-narrateur est un vieil homme qui soliloque dans un bar d’Oran. C'est Haroun, le frère de « L'Arabe » tué par Meursault sur une plage en 1942. L'auteur donne à l'Arabe un nom : Moussa. Il le pourvoit également d’une histoire et d’une identité.
Le narrateur est, comme dans L`Étranger, homodiégétique à focalisation externe. Il ne parle pas mais crie, hurle, comme un torturé. On lit ce roman, on le relit, avec l'impression de lire une épopée de Virgile, de Dante ou même de Milton. Daoud s’y est basé sur cette idée assez chère à  Freud : le sentiment de culpabilité. Nous? Coupables? De quoi? On le sait, on doit l'admettre : nous avons éprouvé de la compassion pour Meursault, le tueur, et la victime, l’Arabe, a été oubliée.
Quant au style de Kamel Daoud ou, en d’autres termes, son écriture, ce n'est pas une écriture blanche ni neutre comme celle de Camus (selon les termes de Barthes). C’est une écriture pleine de violence, de haine, de rage et de colère. Il y a comme une sorte d’harmonie entre ce style et les symphonies wagnériennes. Ce style est impressionnant car il touche les tréfonds de nos cœurs. Style pathétique quand il s'agit de souvenirs atroces, de l’enfance détruite, du frère assassiné. Ce frère tué n’est-il pas, en un certain sens, le symbole de tous les morts de l'Algérie, de toutes les victimes innocentes?
Il faut constater que Daoud a excellé dans ses descriptions : description  de la nausée éprouvée le jour du vendredi, description de l'état moral de Haroun, de ses souffrances et de sa solitude, description des protagonistes…
À l’instar de Proust selon lequel la métaphore donne une forme éternité au style, Daoud insuffle cette éternité à son roman grâce aux figures de style. Par le biais des personnifications et des métaphores créées par l’écrivain, "les contes meurent", "les bars sont des aquariums", "la mer était muette", "(L)a féminité était morte »… En effet, il a parfaitement su jouer avec les sensations et les souvenirs : le visible, l’olfactif, l’auditif s’amalgament pour donner naissance à un chef d’œuvre.
En  donnant à l'Arabe un nom, un frère, une mère, une histoire, bref une identité, l’auteur l’a défendu et a bien mis en relief les méfaits de la colonisation. Ce faisant, il a rédigé le plaidoyer en faveur des victimes confinées dans l’oubli et a ainsi rédigé un roman "de droite à gauche", digne d’être en lice pour le Prix Goncourt.

Salah SAMEH
Université Ain Shams
Faculté Al-Alsun
Département de Français


Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Ed. Actes Sud, 2013, 153 p.

"Al Qassas[1]" pour "l'Arabe"

Grand succès sur le plan littéraire, mais aussi sur le plan humain, Meursault, contre enquête est un roman qui nous donne envie de lire Kamel Daoud.
Faisant allusion à l'Algérie actuelle avec la corruption du pouvoir et l'obscurantisme des islamistes, le journaliste algérien Kamel Daoud donne la suite du célèbre roman d'Albert Camus L'Étranger mais d'un autre point de vue. Par la voix du frère vivant, Haroun, l'écrivain rend hommage à Moussa, le frère tué par Meursault. C'est une nouvelle idée où l'écrivain aborde un problème actuel, celui du racisme contre les Arabes, et ce, par exemple, en comparant Moussa à "Vendredi", l'esclave de Robinson Crusoé :"Comme l'autre a appelé son nègre Vendredi". Kamel Daoud excelle en mêlant plusieurs œuvres littéraires dans une seule afin de cristalliser son idée et d’intégrer son lecteur dans un monde réel.
Contrairement à Camus qui a négligé l'identité de l’Arabe assassiné par son héros, notre journaliste talentueux, primé à plusieurs reprises, s’en va en quête de l'identité des Arabes, persécutés et considérés comme terroristes, et notamment ces derniers temps, après les révolutions du Printemps arabe. Ce soulèvement a été pris par certains pays étrangers comme prétexte pour détruire l'image des peuples arabes et pour les considérer comme des assassins. C'est pourquoi Kamel Daoud a réécrit l'Etranger mais d'un point de vue "arabe".
Tout en braquant la lumière sur la question de la justice, cette œuvre présente, à la fois, des traits politiques, humanitaires et religieux. Ces derniers s'avèrent être clairs dans le choix même des prénoms des personnages, Moussa et Haroun.
C'est un livre puissant dont l'écriture touche au cœur. L'écrivain utilise des termes arabes (comme Chahid) qui frappent le lecteur, surtout arabe. Très agréable à lire, le style est particulier, fluide. La langue est compréhensible et échappe à la monotonie des détails. De même, l'écriture est percutante, portée par une abondance de comparaisons visant à mettre l'accent sur l'idée du meurtre qui domine le roman : "la seule ombre est celle des arabes […] venus d'autrefois, comme des fantômes". Bref, Kamel Daoud a excellé dans son écriture, dans le choix du thème et des idées de manière à rendre son livre digne d'être en lice pour le prix Goncourt.

Monica Mimi Maurice
Université Ain Shams
Faculté Al Alsun
Sous la supervision de
Dr. Racha EL KHAMISSY



[1] Châtiment. Peine, sévère en général, qui frappe un coupable.


Pas Pleurer
Lydie Salvayre
Éd. Seuil, 2014, 288 p.

Quand la cause justifie les moyens…

Dès la première page du roman, on revient aux années 1936-37, lors de la guerre civile espagnole qui avait alors opposé le camp des républicains (de gauche : les rouges, les communistes) à celui des nationalistes (droite). Dans son roman, Pas Pleurer, Lydie Salvayre rend hommage à sa mère, Montse, la fille d’une « mauvaise pauvre » qui retrace, soixante-dix ans plus tard, son aventure révolutionnaire avec son frère Joseph, le communiste et champion du CNT.
Dans l’espoir de faire basculer leur destin de mauvais pauvres, Montse, âgée de quinze ans, décide de quitter le village avec son frère Joseph pour s’engager dans le camp des communistes à Barcelone – la ville la plus éclairée. Durant son court séjour, Montse rencontre l’amour de sa vie, un Français anonyme, qui la rendra enceinte. Dans l’intention d’épargner  à sa fille le destin d’un « desgraciado » après la disparition du Français, elle retourne dans son village et s’engage dans un mariage arrangé avec Diego, le futur père de sa fille Lunitta. Quant à Joseph, il découvre la vanité de son engagement dans les milices et se retire de cette guerre mensongère, boursouflée par les discours idéologiques. Il finira par mourir d’un coup de feu.
Parallèlement à l’histoire de sa mère, la romancière fait intervenir une autre voix apparemment insolite, celle de Bernanos, l’écrivain français du bien notoire pamphlet Les grands cimetières sous la lune, qui a fini par se révolter contre le silence et la bénédiction de l’Église Catholique pourtant bien consciente des terreurs (la chasse des rouges) exercées par les nationaux à Palma de Majorque.
Or, le fil de ces deux histoires narrées ne laisse-t-il pas entendre la sonnerie d’une alarme, d’un avertissement ? Assurément. Sinon pourquoi faire intervenir Bernanos ?
L’Histoire est en effet celle de deux appartenances aveugles (gauche et droite), causes primordiales de déclenchement de toute guerre sauvage où les causes justifient les moyens. La problématique à l’œuvre n’est certes pas fictionnelle. La narration est une véritable rétrospective sur les horreurs commises en Espagne par les nationaux, ainsi par les républicains. Les personnages ont bien existé, les témoins, les rues… Quoi de plus touchant ? Et paradoxalement, quoi de plus objectif que de mettre l’accent sur l’immoralité et la violence de la guerre universelle, qui flambe actuellement dans quasiment tous les pays arabes ?
Il paraît enfin impossible de négliger l’originalité du nouveau langage employé, le « frangnol », métissage de français et d’espagnol tout à fait néologique et absolument justifiable.

Reem Hassanein
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises


L’Ordinateur du paradis
Benoît DUTEURTRE
Éd. Gallimard, 2014, 211 p.

L’Ordinateur du paradis … l’histoire d’un « Cloud » !

Simon est étonné, il a découvert que la mondialisation a même atteint le pays de « l’Au-delà ». Après une mort subite et accidentelle, le personnage principal de l’Ordinateur du paradis constate que « le Cloud » (cette mémoire où est stockée la totalité des informations de l’internaute) a remplacé Dieu et que l’entrée au Paradis dépend maintenant des activités de l’individu sur Internet… Le « Très-haut » devra donc accéder aux informations confidentielles de l’homme afin de le juger coupable ou innocent ! Mais ce n’est pas tout. La stupéfaction de Simon s’amplifie lorsqu’il apprend que le gardien des clés du paradis, le « Grand Saint Pierre », consulte Wikipédia pour tenter de trouver des réponses aux mystères de l’Univers…
La situation de Simon Laroche, haut fonctionnaire à la Commission des libertés publiques, n’était pas meilleure sur terre. Celui-ci éprouvait un dégoût extrême de son époque, abusivement contrôlée par un monde numérique qui a bouleversé son existence et compromis sa position … Une seule phrase, dite « hors-antenne », filmée lors d’une interview sur une chaine radio et publiée clandestinement sur Internet, a suffi pour transformer sa vie en enfer : « la cause des femmes, la cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés ».
Dans un mélange complexe de réalité et d’imagination, un style ironique qui remet en question l’usage actuel d’internet, l’écrivain français Benoît Duteurtre brosse une satire de notre société, où la vie privée de l’homme est dévoilée au monde entier, où la confidentialité peut parfaitement être piratée et les secrets éventés et publiés à n’importe quel moment. L’homme est ainsi asservi par de nouveaux principes et un mode de vie différent où les apparences et le fait d’être « à la mode » deviennent l’une des priorités des utilisateurs, lesquels accablés par les réseaux sociaux, se comportent désormais en tant qu’« internautes » et non plus en tant qu’êtres humains… Les valeurs du passé sont, en fait, purement et simplement évacuées et remplacées par des banalités d’une époque qui applaudit une chanson absurde et insensée beaucoup plus qu’un article bien argumenté et logiquement développé… Une époque où même les livres sont réduits à une simple clé (USB) !
Face à ce chaos, l’homme se trouve obligé de s’adapter, mais, se comparant au Candide de Voltaire, il trouverait le temps pour  « cultiver son propre jardin » !
L’histoire s’ouvre sur un paradis cauchemardesque et effrayant et se clôt sur un enfer enchanté qui correspond parfaitement aux goûts de Simon, et qui se définit comme un endroit très éloigné de la « modernité », là où celui-là retrouve enfin le calme et la sérénité tant recherchés.

Zainab MOHAMMAD 
Université libanaise 
Faculté des Lettres - Section V 
Département de Langue et Littérature Françaises 
Master en Langue et Littérature Françaises 


Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Ed. Actes Sud (153 pages)

Néologisme générique: la chronique littéraire romancée

Monologue d’un homme qui se tient à la porte de la vieillesse, « piégé entre la mère et la mort » – ce qu’il était dès son enfance. Haroun résume ainsi sa vie vécue à l’ombre de son frère aîné Moussa, l’ « Arabe » tué par Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus. Le narrateur – personnage principal – raconte à son destinataire, qui est d’ailleurs sans voix dans le roman, le parcours tragique de sa vie après le meurtre de Moussa, notamment le fardeau trop lourd de la vengeance que sa mère veillait à lui faire porter.
Le lecteur est ainsi associé au récit de la misère d’un enfant qui vivra son adolescence puis son âge adulte dans la pauvreté, invisible à sa propre mère. Haroun se voit ainsi poussé au crime par sa mère qui ne sera calmée que par le sang d’un Français, un « Meursault » comme les autres. Leur rapport demeure cependant conflictuel et se répercutera dans ses relations amoureuses. Et l’épisode de Meriem, chercheuse qui renseigne Haroun sur le roman relatant le meurtre de Moussa, en est témoin. 
Kamel Daoud est le premier à s’interroger sur l’identité et l’histoire de cet Arabe, et lui seul y répond. Ayant osé empiéter sur le territoire de Camus sans jamais lui voler les moutons, le rédacteur en chef du Quotidien d’Oran met son statut de « chroniqueur » au-dessus de tout pour placer LE Camus côte à côte avec son Meursault dans la cage des accusés et prendre le public comme témoin à charge de ses choix de narration. Il s’agit d’un réquisitoire qui confond Camus et Meursault – ils étaient d’ailleurs une seule personne dans l’édition algérienne du roman aux Éditions Barzakh – les accusant tour à tour non seulement du meurtre mais de la duperie qui a laissé la victime, Moussa, inconnue et inconnaissable dans les investigations puis dans le roman camusien.
Ce roman s’avère être une attestation de l’excellence de Daoud dans le jeu du pour et du contre, des faux-semblants et des clins d’œil souvent ironiques. Dans une narration chronologique qui change de lieu selon que le destin du personnage l’entraîne ici ou là, le lecteur fait le tour du paysage algérien politique, social et religieux sous un angle de critique sévère. La colonisation contre la Libération, les regards curieux et accusateurs envers une mère en deuil rusée et son fils indifférent à tout, et bien sûr la religion oppressante face à une liberté et un humanisme presque obsessionnels. Le tout sera géré par une philosophie qui se conforme souvent à l’humanisme camusien : « Cela me choque, cette disproportion entre mon insignifiance et la vastitude du monde […], entre ma banalité et l’univers ! » faisant écho au Mythe de Sisyphe de Camus « L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Sans oublier les allusions rapides au Cycle de l’Absurde camusien : « le malentendu », « crime philosophique », Haroun devenant ainsi un Sisyphe dont le rocher n’est autre que le cadavre de Moussa.
Par ailleurs, s’ajoute à Sisyphe une multitude de personnages et de composantes mythologiques dont Moise et sa canne qui divise la mère, la chemise qui rend la vue à la mère comme celle de Youssef, le paradis premier et un vaste champ de mythes qui laisse place à l’évasion rêveuse du lecteur.
Bref, Kamel Daoud se lance le défi d’être mesuré à Albert Camus et tente de relever le défi sans jamais céder à la tentation de la comparaison. Dans sa robe de juge, il qualifie L’Étranger  de « chef-d’œuvre », de « miroir tendu à [son] âme et à ce qu’ [il] allait devenir dans ce pays, entre Allah et l’ennui », tout en espérant qu’on dirait de même de son Meursault, contre-enquête

Dima El Chami 
2ème année Master en Littérature Française 
Université Libanaise – Section 5 – Saida  


Ce sont des choses qui arrivent
Pauline Dreyfus
Paris, Grasset, 2014, 229 p.

Juive ou catholique ? Telle est peut-être la question !

Pauline Dreyfus, Prix des Deux-magots pour son œuvre L’Immortel, a pu nous brosser, dans son deuxième roman intitulé Ce sont des choses qui arrivent, un tableau parfait de la Seconde Guerre mondiale. Pas celle qu’on connait, ni celle des bombardements et de l’Occupation, mais celle de la vie mondaine du gratin aristocratique français.
Pauline Dreyfus a bien mis l’ironie en italiques. Elle a utilisé la description détaillée et minutieuse des bals, des robes en citant avec précision les marques et les collections pour prouver à quel point les membres de cette classe sociale ne s’intéressent qu’aux mondanités. Ceux-ci cherchent toujours à échapper à leur ennemi juré, « l’ennui ». Issue de ce monde, Natalie de Sorrente, l’héroïne, n’en est pas différente.
Natalie de Sorrente est un personnage tantôt téméraire, tantôt lâche : elle veut annoncer au monde entier qu’elle est à moitié juive, sortir et défier son milieu aristocrate mais elle n’a pas le courage ni la force de s’isoler. C’est la raison pour laquelle elle a recours aux doses excessives de morphine et en vient à se poser une question dont elle connaît bien la réponse : est-ce que j’appartiens à la communauté juive ou catholique ?
L’antisémitisme est évoqué dans ce roman d’une façon élaborée, avec une insistance particulière dans la description des brimades dont sont victimes les Juifs,  pour prouver que l’héroïne commence maintenant à les remarquer. Ceci prouve que l’homme ne soucie tout compte fait de la souffrance des autres que lorsqu’il se trouve à leur place.
Pauline Dreyfus a manié avec sa plume un certain genre de sarcasme qui non seulement  touche la vie des aristocrates durant la Seconde Guerre mondiale mais qui également pointe plusieurs tares humaines.

Aya Ashraf 
Faculté al Alsun 
Département de français 
Université Ain shams  


Charlotte
David Foenkinos
Ed. Gallimard, 2014, 221 p.

Quand la souffrance engendre la création

« Le sentiment d'avoir enfin trouvé ce que je cherchais.
Le dénouement inattendu de mes attirances.
Mes errances m'avaient conduit au bon endroit. 
Je le sus dès l'instant où je découvris -Vie ? Ou Théâtre ?
Tout ce que j'aimais. 
Tout ce qui me troublait depuis des années. »
À travers son treizième roman Charlotte, le romancier français David Foenkinos, né le 28 octobre 1974 à Paris, rend hommage à Charlotte Salomon, une jeune femme talentueuse et totalement habitée par son art qui lui fait combattre le désespoir et la barbarie de son époque.
En effet, Charlotte Salomon, née à Berlin le 16 avril 1917 et morte en 1943 à Auschwitz, est une artiste plasticienne et peintre. Fille d’Albert Salomon, un chirurgien renommé, elle doit faire face à la disparition de sa mère qui s'est suicidée alors qu'elle n'était qu'une enfant. Elle n'apprendra la vérité que bien plus tard.
Elle réussit à entrer à l'école des Beaux-arts à la faveur du 1% de "juifs tolérés" à            l'époque où la montée du nazisme est de plus en plus forte. Obligée de fuir ce régime totalitaire qui accentue chaque jour un peu plus sa domination, elle rejoint ses grands-parents dans le sud de la France. Mais elle quitte à contrecœur un amour passionnel avec un homme dont elle ne cessera d’esquisser le portrait.
Elle entame alors une intense période créatrice. Encouragée par ses amis, elle peint, dessine, écrit sa vie, ses souvenirs, et crée pendant presque deux ans, son œuvre « Vie ? ou théâtre ? » dont s’est inspiré Foenkinos pour écrire son roman.
Ce qui attire le plus l’attention dans ce roman, c'est sa forme : une structure parfaitement maîtrisée, des phrases courtes, se terminant à chaque fois par un point. Une sorte de long poème en prose, humain, émotionnel, authentique, d'une subtile élégance, et d'une gravité mesurée. Une formidable idée pour inciter le lecteur à la lenteur dans la lecture, en optant pour une certaine respiration.
1917 et 1943 : entre ces deux dates, une existence courte, intense et dramatique. Et une œuvre : « Vie? Ou théâtre? », Réalité ? Ou Illusion ?, qui résume à la fois l’amour et la haine, la discrimination et l’attachement aux origines, l’oppression, le manque, le désespoir et l’exil. Cette œuvre créée il y a une dizaine d’années n’est-elle pas un miroir de la société contemporaine ? Le siècle est différent, les personnages aussi, mais le danger est le même, celui qui, jusqu’à aujourd’hui guette les personnes, les opprime à cause de leur religion, couleur de peau, langue ou nationalité.

Hala Ismail
Université Islamique du Liban
Faculté des Lettres
Département de français
Master en Didactique du FLE


L'amour et les forêts
Eric Reinhardt.
Éd. Gallimard, 2014, 366 pages.

Résignation ou révolte?

Éric Reinhardt, annonce à ses lecteurs, dès le premier chapitre, qu'il a rencontré une lectrice en 2008, qui l’a touché par la lettre admirable qu'elle lui envoie à la suite de la parution de l’un de ses romans.
Cette lectrice est Bénédicte Ombredanne, une femme mariée ayant 2 enfants et qui souffre de la jalousie de son mari, Jean-François, de sa brutalité et de son harcèlement continuel. 
Bénédicte n'est autre que l’ « avatar féminin d’Éric », une victime qui a besoin d'être secouée par l’écriture, cet acte salubre qui lui donne envie d’exister: « Moi aussi j'attends des livres que j'entreprends d'écrire, qu'ils me secourent, qu'ils m'embarquent dans leur chaloupe, qu'ils me conduisent vers le rivage d'un ailleurs idéal ».
L'amour et les forêts est un titre assez curieux puisqu’on sait déjà ce que c’est que l'amour, mais on ignore ce que symbolise une forêt. On devine qu’elle peut être dense et menaçante, et devenir soudain une clairière. Bref, une aventure de l'obscurité à la lumière ou l'inverse. Une chose est sûre : dans une forêt, on se perd et on se retrouve. Dans ce roman de portrait d'une femme, les forêts symbolisent les hésitations de Bénédicte, la jalousie de son mari, et sa nostalgie de liberté. Le style de l'auteur est vif. Je vous conseille de lire ce roman de révolte féminine: je trouve que dans chaque femme existe une Bénédicte assoiffée de liberté.

Amira El-Dakhs
Deuxième année de la licence
Département de français de la faculté des langues (AL ALSUN)
Université Ain Shams
 

La ligne des glaces
Emmanuel Ruben
Éd. Payot & Rivages, 2014, 320 p.

Histoire… la seule Géographie

 « Tout le monde, ici, a l’impression de ne vivre nulle part. » Ici, c’est dans le Nord, quelque part sur les bords de la Baltique, en Grande-Baronnie, « une miette d’Europe » ; le pays jamais nommé, « comme s’il n’avait jamais existé avant 1991. Comme si 1991 était son année zéro ».
Marqué par les influences de tout le continent, nordiques, germaniques, russes et même italiennes, ce pays dont on ne sait même pas s’il est d’Europe Centrale, du Nord, de l’Est ou de l’Ouest n’est qu’un non-lieu aux contours indéterminés. Samuel Vidouble, jeune diplomate en herbe, embarque comme volontaire international à l’Ambassade de France pour ce petit pays mystérieux, avec pour mission de délimiter sa frontière maritime, qu’aucun traité n’a jamais ratifiée, ou, plus précisément, les frontières du dit pays aux enjeux économiques cruciaux. Cette tentative de cartographie s’avérant être irréalisable, impossible, vouée à l’échec, engendre son propre effacement ; Samuel perd son enthousiasme, sombre dans la mélancolie et s’enfouit dans un quotidien déliquescent entre ivresse alcoolique et érotique.
Le choix de cette destination repose en grande partie sur un rêve infantile : Samuel s’était inventé un pays imaginaire au bord de la mer Baltique. Durant les neuf mois de son séjour sur cette petite île plongée dans un hiver interminable, le jeune géographe part dans une aventure exploratrice des confins de cet angle-mort de l’Europe où ressurgissent des fragments des tragédies de l’Histoire. Le sens se dissout et le fil de la raison qui erre entre le passé douloureux du pays et les rêves cauchemardesques de Samuel se perd dans cet hiver monochrome blanc. Même si tout est fait pour gommer les traces de la violence et de la haine, « ici, il n’a pas fini d’en finir le XXe siècle ». En réalité, ce n’est pas avec la géographie que Vidouble a rendez-vous, mais avec l’Histoire. « La seule vraie frontière n’était pas sur les cartes, n’était ni naturelle ni arbitraire, n’était pas une ligne rouge imaginaire mais une ligne rouge bien réelle, une frontière profonde historique, mémorielle, corporelle, qui n’avait pas tranché l’Europe car il n’y avait jamais eu d’Europe mais qui avait tranché des bras et des jambes, des cous, des cœurs, des langues et des cerveaux. » Dans cet enchevêtrement du réel et de l’hallucinatoire, on comprend que « les frontières ne sont pas dans la nature mais dans les têtes. »
Emmanuel Ruben emmène ses lecteurs dans un voyage à la fois statique et mouvementé, déroutant et énigmatique qui nous confronte à des interrogations sur cette frontière semi-imaginaire ainsi qu’à la réflexion sur l’identité individuelle, nationale et européenne, nous guidant ainsi vers la « construction » et l’actualité des faits géopolitiques du monde présentement. Il s’agit d’une problématique sensible qui mérite de profondes et amples observations et qui ne se limite pas au continent européen mais pourrait être étendue au monde entier.
Récit romanesque, ce journal de bord emporte ses destinataires, pas à pas, sur des voies continentales et mentales, toujours dans ce tourbillon vrombissant entre le réel et le virtuel, tournant autour de cette phrase qui révèle que « la géographie peut être imaginaire » mais que « l’histoire ne l’est jamais ». On comprend ainsi ce que Samuel ignorait avant de le concevoir : « c’est que les pays sans légendes n’existent pas – que tous les coins de la terre se valent, que l’exil est un mythe, l’asile notre séjour. »

Tonia Marroun
Université Saint-Joseph
Département des lettres françaises
 Licence en Littérature Française


La ligne des glaces
Paris, Éd. Rivages , 2014 

La ligne des glaces : Itinéraire de l'errance

Retenue dans la sélection du Goncourt, La ligne des glaces d'Emmanuel Ruben est un roman d’aventures et d’explorations intérieures et imaginaires où l’histoire personnelle, universelle et politique s’entremêle.
À Grande-Baronnie, Samuel Vidouble, jeune géographe, est chargé de tracer la frontière maritime de ce pays qu’aucun traité n’a jamais ratifié. Ce pays, dont il  ignorait tout avant d’y arriver comme volontaire international, se situe sur la côte de la mer Baltique. Il découvre dans un Atlas de son enfance un pays imaginaire qu’il avait ajouté dans cette région. Et il comprend que les frontières sont plus intérieures qu’extérieures, plus profondes et complexes que ce qu’il avait imaginé. C’est à travers son regard qu’on découvre peu à peu les coutumes et la culture de la Grande-Baronnie.
La Ligne des glaces est aussi un roman qui confirme les qualités d’écrivain d’Emmanuel Ruben. Au fur et à mesure que l’hiver s’installe, le héros perd son enthousiasme et sombre dans la mélancolie : cette dépression est marquée par des phrases nominales courtes et des phrases incomplètes qui donnent l’impression de l’impossibilité de la mission. Puis, dans les chapitres suivants, Ruben utilise des phrases bien construites et plus complètes pour montrer que le héros est maintenant sur la bonne voie. La variation du style donne une certaine élégance au roman.
Bref, un magnifique roman qu'il faut lire, surtout avec la description détaillée d’Emmanuel Ruben qui nous a plongés dans l’atmosphère fantomatique de ce bout de terre. Son errance dans ce pays inventé me ferait même presque croire que c’est lui qui a inventé la Grande-Baronnie.  

Rodaina KAREM 
Université Ain Shams
Faculté Al-Alsun
Département de Français


La ligne des glaces
Emmanuel Ruben
Éd. Payot & Rivages, 2014, 320 p.

La ligne des glaces

Né le 16 novembre 1980 à Lyon, Emmanuel Ruben est un romancier à double casquette : celle de l’écrivain et celle du géographe. Il vient de publier son troisième roman, La ligne des glaces.
C`est l`histoire de Samuel, un jeune géographe qui parcourt le monde. Pour lui, "L`exil est un mythe". Envoyé dans un pays de la Baltique comme "volontaire international", il est chargé de délimiter les frontières maritimes du pays. La mission n`est pas encore achevée qu’il s’en désintéresse déjà et vit dans une mélancolie  maussade. Tout au long du roman, Samuel est perdu, il boit et se soûle, sa vie est déchirée. Bref, il vit une profonde crise d`identité.  
À la manière de Proust, Emmanuel Ruben construit des phrases souvent longues, qui peuvent s`étendre sur une page entière. On y trouve beaucoup de termes anglais, italiens, allemands, russes etc... La description est parfois monotone et nous rappelle celle de Balzac ou Renan où s’amalgament harmonieusement les sensations les plus diverses (couleurs, sons et saveurs).
Réel et imaginaire sont souvent confondus, et le lecteur se trouve intégré dans le rêve du narrateur. L’ordre chronologique n’est pas toujours respecté. Le héros doit endurer des nausées, des cauchemars, des nuits blanches, un spleen baudelairien et des hallucinations de type dadaïstes. Chez Emmanuel  Ruben,  comme chez Nerval et Breton, le rêve est une seconde vie – rêves particuliers et souvenirs d’enfance.
Emmanuel Ruben fait également beaucoup d`allusions à la littérature mondiale, au cinéma et à la musique. On y voit de nombreuses références à Rimbaud, Patrice de la Tour du Pin et Saint-Exupéry (littérature), à Tarkovski et Dreyer (cinéma), à Wagner et Schubert (musique).


Salah SAMEH
Étudiant en 2ème année
Faculté des Langues
Université Ain-Chams


L'ordinateur du paradis
Benoit Duteurtre
Éd. Gallimard, 2014, 213p.

Vider la corbeille

Faut-il avoir confiance en cette surveillance permanente qui agresse notre intimité ? « dans ce monde où, partout, une caméra, un téléphone étaient là pour vous piéger, nul ne distinguait les propos tenus "dans l'interview" ou "hors interview" » (p. 81). Telle est l’une des questions posées par L’ordinateur du paradis.
Récent arrivant au ciel, le héros, Simon Laroche, doit patienter dans la salle d'accueil, ticket en main ; il croit obligatoirement gagner le paradis : "on ira tous au paradis" (p. 19).
Parallèlement, sur terre, Laroche se trouve dans une situation catastrophique : ayant déclaré des idées anti-féministes lors d'un entretien ("le rapporteur de la CLP en a marre des femmes et des gays", p. 80), il se trouve puni par la société. Pire encore, ses vieux mails (qu'il croit avoir effacés) surgissent de nouveau. Tous ces événements sont sur le point de détruire sa vie :" Les courriels supprimés revenaient le lendemain comme si les contenus numériques refusaient de mourir" (p. 53).
Dans le roman, des questions cruciales liées à notre époque sont traitées dans un style simple et agréable, reflétant ainsi une nouvelle image d'un paradis compatible avec la vie actuelle. Avec ce progrès technologique, il convient alors de reconsidérer sérieusement la notion de confidentialité dans le monde virtuel : " La confidentialité, noble mot qui permet d'enfreindre la loi,  […] ou de surfer sur des sites louches " (p. 66).
Selon le roman, la vie privée est fatalement touchée par les réseaux sociaux et l'Internet. Les conséquences du Web peuvent même nous conduire jusqu’à l'enfer, et la circulation des informations se transformer en cauchemar.

Ce roman condamne l'idée selon laquelle l’Internet serait un outil garantissant la liberté à tous les niveaux. Par contre, vivre sans la surveillance d’autrui semble être une perspective plus apaisante :" Mais ce tourbillon lumineux ne m'attire guère depuis que j'ai découvert […] la fraîcheur de l'ombre et la douceur de l'éloignement, qui pour la première fois parviennent à apaiser mon âme" (p. 211).

En un mot, Benoit Duteurtre met en garde contre les dangers de l'Internet, ce paradis des jeunes. Si le Web nous offre une liberté illimitée  de navigation, il faut néanmoins être prudent et responsable pour éviter l'enfer : "Il fallait penser avant" (p. 206).

Salma Mohamed Mahmoud 
Université Ain Shams
Faculté Al-Alsun
Département de Français


L’Ordinateur Du Paradis
Benoît Duteurtre
Paris, Éd. Gallimard, 2014, 211p.

Heureusement… l’Enfer !

On a toujours associé au paradis les châteaux, l’or, les rivières … Mais est-ce qu’il existe un ordinateur au paradis ? Dans son roman, Benoît Duteurtre se moque du monde contemporain qui abuse de la technologie, et surtout d’Internet.
Simon Laroche, le héros du roman et rapporteur de la Commission de Libertés publiques, défend la vie privée des gens. Mais, lors d’un débat radiophonique avec la journaliste Daisy, pensant que la caméra est « off », il prononce la phrase qui bouleverse sa vie terrestre et éternelle : « La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés ».
Internet est une vraie MENACE. Notre vie privée y devient publique : tout le monde peut accéder aux informations de n’importe quelle personne ou même de n’importe quel pays (on l’a vu avec l’espionnage des États-Unis à travers le NSA). Il en découle de graves résultats – notamment sur le plan politique : des guerres ou des ruptures de relations entre les États.
Quant à la vie éternelle, c'est vrai qu'il y a le paradis et l’enfer, mais dans ce roman, le paradis perd son acception traditionnelle. Car tout comme la Terre, le paradis est envahi par la technologie. Le « Très-Haut » connait toutes les informations relatives aux âmes à travers « l’ordinateur » ou « le Cloud ». Un éden où s’exercent le favoritisme et le néolibéralisme, des niveaux sociaux, des pauvres et des riches et où l’anglais est la langue dominante. Quelle « faveur » d’être un « Occidental » ! Les Occidentaux dominent la terre et veulent dominer le paradis – un comble ! Par contre, en enfer, il n’y a ni technologie, ni anglais. Simon a ainsi réalisé que l’enfer satisfait sa nostalgie car il y trouve l’apaisement de son âme…
Benoît Duteurtre nous donne ici une image très attachante de la modernité du paradis et de l’ancienneté de l’enfer : le paradis est la terre du monde céleste. De plus, il établit un parallèle entre l’Internet du paradis et celui de la terre : l'Internet paradisiaque est utilisé pour juger les actes des âmes, mais l'Internet terrestre est un moyen d’espionner et de transgresser la morale par la pornographie.
Avec L'ordinateur du paradis, Duteurtre nous offre un roman unique et attrayant, où le réalisme se mêle à l'imagination pour mieux éclairer notre présent.

Iman Mohamed Labib 
Université d’Ain Chams
Faculté Des Langues (Al Alsun) 
Département de Français

Meursault contre-enquête
Kamel Daoud
Ed. Actes Sud, 2013, 153 p.


                                                 Enquête ou quête d’identité?

Dans une tentative de réappropriation de L’Étranger, Kamel Daoud, chroniqueur politique et écrivain algérien d’expression française, livre, dans Meursault contre-enquête, l’histoire de Moussa, l’Arabe tué par Meursault, héros de Camus.
Dès les premières pages du roman,  le lecteur se voit confronté à une langue à la fois expressive et portée par un enjeu pragmatique. En empruntant au théâtre  la technique du soliloque, le héros-narrateur tutoie le récepteur dans une tonalité insolente voire ironique. Le roman s’affirme comme un cri de révolte déstabilisant la mémoire littéraire d’un lecteur épris, auparavant, de la langue « poétique », voire « exacte » de Camus qui sollicite l’empathie pour le meurtrier devenu immortel et classe l’Arabe dans la rubrique des « étrangers » oubliés dans leur tombe ou « morts dans l’insignifiance » (p. 20).
            Dans un bar à Oran, Haroun, voix du roman, plaint son frère Moussa : il  s’approprie une langue à lui seul, une langue « mineure » (la classification est celle de Deleuze et Guattari) qui, comme il l’avoue lui-même, l’aide à « survivre », à retrouver ses origines et à fuir le bavardage intarissable d’une mère (M’ma) – affligée et presque folle –, par trop présente, qui l’accuse de ce qui s’est passé et le pousse à se venger en tuant – d’une manière absurde – un Français. Seul l’amour passager de Meriem (une femme libre préparant une thèse sur L’Étranger) se montre salvateur et permet au héros de dépasser l’histoire d’un cadavre.

Comme par analogie avec la décomposition d’un corps, la narration  se fait partielle et parcellaire. Chapitres ou épisodes non chronologiques se côtoient déroutant ainsi le lecteur et mettant en question les idéaux religieux, culturels voire sociaux dominant l’Algérie actuelle.  Surtout, l’œuvre, en redonnant à l’Arabe le nom de Moussa – nom qui rejoint la symbolique biblique – met en question la capacité de la langue à ordonner, à nommer, à faire revivre. L’écriture constitue ainsi une tentative de résolution d’un problème de vie, d’identité et de pouvoir. Avec Daoud, l’Arabe anonyme de Camus regagne son nom, son entité, son identité – voire son histoire !


Pauline FAKHRY
Université Libanaise - Section IV
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Lettres françaises
  

Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Arles, Actes Sud, 2014, 153 p.


Rancœur au cœur d’une histoire
 
Que veut dire Meursault ? « Meurt seul » ? « Meurt sot » ? Ne meurs jamais » ? » (p.16) Est-ce que le narrateur a vraiment voulu mener une contre-enquête ? Quel était son but ? L’histoire commence par la colère de Haroun contre Meursault mais finit ailleurs…    
Kamel Daoud, journaliste algérien caractérisé par une sensibilité et une sincérité particulières, se met dans la peau de Haroun, le frère cadet de l’Arabe assassiné par le héros de l’œuvre de Camus, L’Étranger. Cet « Arabe » qui est resté longtemps dans l’anonymat, a reçu enfin un nom très symbolique : Moussa. « Qui sait quel fleuve l’a porté jusqu’à la mer qu’il devait traverser à pied, seul, sans peuple, sans bâton miraculeux ? » (p. 14)
Haroun, nourri d’alcool, nous raconte sa propre version des faits dans un des rares bars qui existent encore en Algérie, le Titanic. Quand Moussa est mort, Haroun n’avait que sept ans. Ce dernier se souvient de son « sourire fier », de « ses tatouages », de « sa barbe de prophète » et de Zoubida, la femme dont il était amoureux. Cependant, les rumeurs qui circulent à Alger et le mystère de la disparition du cadavre hantent le narrateur à chaque instant de sa vie.
Mais ce n’est pas tout. Bien que la mort de son frère l’ait détruit, c’est sa mère qui en réalité l’a anéanti. « Je t’emmènerai avec moi assister à son enterrement » (p. 49) Cette première femme à l’avoir déçu, voulait incarner l’esprit de son fils aîné costaud et mort jeune, dans le corps fragile de son fils désormais unique. Néanmoins, Haroun et « M’ma » ont partagé une seule chose : la méfiance de la mer. Un cœur si sensible ne peut pas résister à la force de l’amour : l’amour d’une autre M qui s’est introduite dans sa vie. « L’amour, c’est embrasser quelqu’un, partager sa salive et remonter jusqu’au souvenir obscur de sa propre naissance. » (p. 143)
En lisant le titre, nous remarquons qu’il est composé de deux parties : la première nous rappelle l’espace camusien et la seconde nous laisse imaginer la manière que Daoud adopterait pour se venger de Meursault ; pourtant c’est faux. Ce sont deux pièges dans lesquels Kamel Daoud n’a pas voulu tomber. En premier lieu, il n’est pas le disciple de Camus dont la langue « riche, imagée, pleine de vitalité, de sursauts, d’improvisations à défaut de précision » (p. 47) est différente de la sienne. Dans son premier roman, Daoud utilise l’arme du rire pour évoquer un chagrin collectif : la guerre d’Algérie, d’où personne n’est sorti gagnant. En outre, avec une ironie à la fois sérieuse et plaisante, il condamne tous ceux qui se soumettent aveuglément aux Écritures et consentent à la barbarie et à la violence de leurs semblables. « Je déteste les religions et la soumission. » (p. 76) Il expose aussi son propre point de vue à propos du vin et se demande « Pourquoi est-il interdit ici-bas, et promis là-haut ? » (p. 61). En second lieu, Daoud invite les lecteurs à s’enrichir de ce qui les blesse. Par suite, bien que Camus soit à démanteler de la part des Algériens (puisqu’il n’a jamais accepté l’idée d’une nation algérienne indépendante), ce dernier demeure présent dans l’histoire littéraire et intellectuelle de l’Algérie. L’écrivain ne cherche pas à se venger de lui mais il le considère comme un prétexte lui permettant d’exprimer ses idées. La guerre est finie. Meursault est mort, Moussa est mort, Camus est mort et il demeure, lui, un citoyen algérien contemporain qui revendique la nécessité de dépasser le passé et d’assainir le malaise entre l’Algérie et la France d’aujourd’hui.
De même, l’auteur entraîne le lecteur dans une mise en abîme de virtuose et crée des effets miroirs : Meursault s’ennuie le dimanche, Haroun le vendredi. Salamano passe toute la journée à hurler contre son chien, le voisin d’Haroun récite le Coran à tue-tête pendant la nuit. Les Algériens de L’Étranger regardent les Européens en silence ; dans Meursault, contre-enquête, ce sont des roumis (Européens) qui reviennent en Algérie. L’histoire commence par la colère de Haroun contre Meursault, mais il finit par lui ressembler.
Le discours narratif dans Meursault, contre-enquête cherche essentiellement à révéler ce qui est sérieux et profond. En mêlant l’arabe et le français « ouled el-bled » (p. 21), et en interpellant le lecteur, il réussit à l’impliquer et à l’intéresser. « Vas-y, lis! » (p. 17)
C’est à notre tour de réinventer l’histoire du frère de l’Arabe tué par Meursault. De surcroît, le mythe de Caïn ne cesse de resurgir d’année en année à travers les générations. « L’heure du crime ne sonne pas en même temps pour tous les peuples. Ainsi s’explique la permanence de l’histoire. » (E. M. Cioran).

   
Santa EL-HABER
Université libanaise - Section II
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de langue et littérature françaises


Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Ed. Actes Sud, 2013, 153 p.


« Aujourd’hui, m’ma est encore vivante. »

            Kamel Daoud est un écrivain et journaliste algérien. Dans son roman, Meursault, contre-enquête, il a réécrit la célèbre histoire de l’Étranger de Camus. Grâce à ce roman, K. Daoud a reçu le prix des Cinq continents de la Francophonie en 2014.
            L’œuvre de K. Daoud commence par la phrase, « aujourd’hui, m’ma est encore vivante », en écho à la phrase très connue qui constitue l’incipit de L’Étranger de Camus : « aujourd’hui, maman est morte ».
            Une scène calme est mise en place : deux hommes qui se rencontrent plusieurs fois, l’un qui écoute et l’autre qui raconte sa vie tragique et déprimante. Le protagoniste Haroun est le frère de l’Arabe assassiné dans le roman de Camus. La tristesse l’a accompagné comme une vieille amie sans nom. Ce roman offre une analyse plus approfondie à l’Arabe sans nom, l’Arabe qui a été tué par Meursault.
             En analysant une phrase de Haroun telle que « J’ai des images dans la tête, c’est tout ce que je peux t’offrir. », on comprend mieux le poids de ses chagrins. Quand Haroun était petit, son père avait quitté sa famille, puis son frère, Moussa, a été tué. Haroun, le narrateur, a révélé la tragédie de sa vie insignifiante, pleine de malheurs avec ses images. En vérité, les événements de son enfance ont été l’horizon, la matière de son futur et ils ont formé ses actions.           
             Avant et après l’Indépendance, c’est un autre monde en Algérie, mais pour Haroun tout est noir et blanc. Pour lui, un Français a tué son frère. Ce héros est devenu célèbre alors que son frère, l’Arabe, est toujours sans nom. En effet, Haroun nous décrit l’autre face du crime, une face inspirée de la formule coranique : « Si vous tuez une seule âme, c’est comme si vous aviez tué une humanité entière. ». Cet homme non-croyant utilise un verset du Coran pour proclamer son chagrin. C’est le seul verset qui résonne en lui. Similaire au cas de Meursault, c’est la mort d’un proche qui ouvre la voie à une autre mort. Cette fois, à l’inverse, c’est un Arabe, Haroun, qui a tué un français. Pour lui, l’humanité est déjà morte.
             Par le biais du récit de Haroun, ce roman soulève les problèmes controversés du monde, comme la religion, les liens de sang, la pauvreté et le racisme.
Pour le monde, Moussa restera toujours un simple Arabe alors que pour Haroun tout le monde devient Moussa.
             Deux histoires, deux protagonistes, Meursault et Haroun, un Français et un Arabe dans deux mondes différents mais ils ont été liés à une seule âme, celle de Moussa. Un cadavre manquant guide les émotions emmêlées sur le même chemin de désespoir.


Saia Mohammed EMIN
Université de Salahaddin
Faculté des Langues
Département de Français



L’Ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Paris, Gallimard, 2014, 224 p.

Un roman moderne antimoderniste ?

Le lecteur qui s’embarque dans L’Ordinateur du Paradis (Paris, Gallimard, 2014) en pensant retrouver un conte fantaisiste à la Pierre Gripari, auteur de La Sorcière de la rue Mouffetard et d’Un Gentil petit diable, pourrait se sentir bien désabusé. En effet, une grande partie du « roman » se déroule bel et bien sur terre, dans le monde moderne. Nous y suivons surtout les déboires de Simon Laroche, rapporteur de la Commission des Libertés Publiques subventionnée par l’État. Cet intellectuel renommé se voit d’un jour à l’autre piégé dans un engrenage infernal : une phrase, qu’il a prononcée dans un élan théâtral contre les féministes et les gays, est filmée à son insu et court depuis sur Internet, lui occasionnant des demandes de démission : « La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés… » (p. 81). 
De nombreuses interrogations sur la modernité, la mondialisation et leur impact néfaste sur la vie privée se dégagent de ce récit. Quoi qu’en puisse croire le lecteur, le questionnement sur l’au-delà n’est qu’un thème secondaire dans cette œuvre, qui montre que la modernisation et le libéralisme ont atteint jusqu’au Paradis. Ultime preuve que le sujet principal de ce roman est le modernisme, non l’au-delà. D’ailleurs, cette œuvre elle-même est-elle bien un roman traditionnel ?
À première vue, le lecteur se retrouve face à un ramassis d’intrigues différentes et pourrait croire un moment que Benoît Duteurtre dissimule sous l’appellation « roman » un recueil de quatre nouvelles. Il n’en est rien ; les quatre fils de l’intrigue se rejoignent au fil du récit, préparant la surprise finale : le lecteur qui se croyait face à deux voix narratives, plusieurs points de vue, voire deux intrigues totalement disjointes, découvre qu’il ne s’agit que d’une seule et même intrigue éclatée.
Nous reprocherons peut-être à L’Ordinateur du Paradis une trop grande abondance de détails qui fait que l’action a tendance à s’enliser au profit de descriptions exhaustives de la vie quotidienne : « Remontant le couloir de première classe, il apprécia les tailleurs élégants, les chevelures soyeuses, les costumes bien coupés, les mentons rasés, les cous parfumés » (p.34). Le texte comporte également des pauses-essais excessivement techniques : « Le cloud est cette espèce de mémoire flottante, dispersée d’un disque dur à l’autre, où se trouve la totalité des informations » (p. 54).
L’élément de « résolution » ne résout aucunement l’élément perturbateur, donnant l’image d’un dénouement hâtif. Par ailleurs, l’image de l’Arabe laisse à désirer : l’unique Oriental présent dans cette œuvre, curieusement prénommé Darius, est un jeune réfugié irakien désœuvré et machiste, ce qui apparaît clairement dans sa relation avec son ami français, Red.
Quant à son copain Darius, grand brun au torse athlétiquement découpé, l’air sceptique et rêveur face au monde qui l’entourait, il était l’aîné d’une famille irakienne émigrée après l’invasion américaine. […] Sauf que depuis l’âge de quatorze ans, les deux amis pensaient davantage à plaisanter qu’à obtenir de bonnes notes, à faire du mauvais esprit qu’à étudier leurs cours, à briller au club théâtre plutôt qu’en mathématiques. (p. 88)
 Pourtant, la chute finale du roman fait (presque) pardonner ces petits défauts de l’œuvre et nous laisse devant l’essentiel. Pour Benoît Duteurtre, l’important ne serait pas d’offrir à ses lecteurs une intrigue lourde de péripéties, mais de leur délivrer une réflexion sur la modernité : « Simon n’y pouvait rien : malgré ses efforts pour vivre avec son temps, il voyait régulièrement le passé resurgir avec un parfum de nostalgie » (p. 35). Dans cette œuvre plus qu’une autre, un lecteur averti en vaut bien deux. Ironie du sort : Duteurtre qui voulait écrire un roman valorisant le traditionalisme, se retrouve en train d’écrire une œuvre très… moderne.


Ange Al-Jalalati
Université Libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de Langue et  Littérature françaises
Master II



L’Ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Ed. Gallimard, 2014, 224 p.


Paradis infernal

Simon Laroche expire accidentellement. Dans l’au-delà, il découvre un royaume céleste qui ne ressemble en rien au ciel qu’il avait imaginé : commerces duty free, restaurants et même lounges VIP sont au service des nouveaux morts. Dans ce ciel néolibéral, le « Très-Haut » décidera du sort de Simon. Ira-t-il au paradis ou sera-t-il calciné en enfer ? Pour trancher, on devra étudier le dossier de ses activités terrestres. Marié et père de famille, il occupe le poste de rapporteur de la Commission des Libertés publiques. Il satisfait aussi ses désirs charnels en naviguant sur des sites X. Rien de bien  grave… jusqu’à ce que des soubresauts viennent faire basculer sa vie : des propos qu’il a prononcés contre les femmes et les gays circulent sur le web. Internet décide de mettre à nu tous les petits secrets de ses utilisateurs en envoyant les mails des uns aux ordinateurs des autres. Cela va sérieusement compromettre la carrière de Simon et la cohésion de sa famille. Empêtré dans cet imbroglio, le protagoniste rencontre au ciel le Grand Saint-Pierre et doit prouver au Tout-Puissant qu’il mérite d’aller au paradis. Mais le spectre de ses activités sur Terre l’accompagne dans l’autre monde et il se retrouve pris dans les rets d’un enfer éprouvant. Éprouvant ? Pas si sûr…

Écrit avec légèreté et beaucoup d’humour, L’Ordinateur du paradis de Benoît Duteurtre  est une satire de nos sociétés modernes. Tout comme il l’avait déjà fait dans d’autres romans tels Service clientèle ou Le Retour du Général, l’auteur fustige le siècle du numérique qui flirte avec la déchéance.  En effet, à travers sa plume qui s’avère être une lame acérée, il montre que les libertés prônées par nos sociétés capitalistes sont en réalité des libertés aliénantes et que notre monde (notre paradis !), avec sa technologie et ses produits haut de gamme, est le véritable enfer. En insérant moult expressions anglaises dans ses phrases (« transformer tout l’étage en open space », « membre de la business class »), l’auteur met en évidence la suprématie de l’anglais et condamne l’uniformisation de nos sociétés. Dans un style accessible à tous, Duteurtre nous invite à vivre simplement parce qu’un monde plus simple est un monde meilleur. L’Ordinateur du paradis, qui se lit d’une seule traite, est donc bien plus qu’un roman, c’est un appel à changer nos sociétés.

En lisant ce livre à mi-chemin entre la fantaisie et la réalité, le lecteur sourit en imaginant un au-delà ultramoderne où l’on rencontrerait un Grand Saint-Pierre farceur. Mais derrière le comique, se profile toute une morale. La nostalgie d’une époque où l’on vivait sereinement envahit le lecteur, le poussant à poser des questions et à réfléchir: dans notre monde actuel, ne sommes-nous pas leurrés par Internet ? La protection de la vie privée sur le web n’est-elle pas en réalité un mirage ? Le féminisme n’est-il pas aujourd’hui poussé aux extrêmes et le poison de la superficialité instillé un peu partout dans nos vies ?  Au fil des pages, nous réalisons que le roman reflète notre triste réalité : vies privées volées, âmes manipulées, familles broyées, existences ratées, individus marginalisés… Sous la plume de B. Duteurtre, le comique devient le soupir d’une âme harassée par les excès et les pages se transforment finalement en un espace où des sentiments antagonistes s’entrelacent :   le lecteur y étanche sa soif d’humour tout en songeant au monde dans lequel il vit, ce monde à l’apogée du progrès et paradoxalement, au bord de l’abîme…


Jana MRAD
Université Libanaise - Section II
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Langue et Littérature françaises



L’Ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Éd. Gallimard, 2014, 224 p.


Pénalisation éternelle
           
            Plusieurs séries d’œuvres ont été lancées, traitant de sujets multiples tels que l’homosexualité, la pornographie, la modernisation de notre monde et d’autres. Benoît Duteurtre, romancier, essayiste et critique musical français, propose de nouveau dans son livre L’Ordinateur du paradis de traiter les mêmes sujets, tout en ajoutant la protection de la vie privée et le féminisme, sans oublier le sujet principal de ce livre qui parle de la vie après la mort.
            Benoit Duteurtre plante la première scène au paradis : on franchit tout d’abord plusieurs guichets pour remplir les formalités avant d’arriver à l’embarquement final. Ticket en main, tout le monde attend son tour au paradis ! Mais avant d’en arriver là, que se passe-t-il sur terre ?
            Simon Laroche, haut fonctionnaire, vivait toujours dans l’angoisse que l’on découvre qu’il était visiteur de sites pornographiques. Une simple phrase mal prononcée durant un débat radiophonique traitant de la pénalisation ou non des consommateurs de pornographie sur Internet, perturbe brusquement sa vie. Simon est alors accusé de discrimination raciale et sexuelle. Et soudain, le grand dérèglement frappe : un virus informatique s’infiltre dans la vie privée des gens en transférant les informations intimes d’une personne à une autre. Aussi, Benoit Duteurtre, qui avait commencé son roman par une scène au paradis, finit-il par l’enfer. C’est là où, après sa mort, Simon se trouve en proie à des accusations. Mais en enfer, il vit paradoxalement une libération !
            Dans cette œuvre, l’auteur traite des sujets assez importants, se rapportant à la société, à la vie privée, et à la pornographie. En même temps, ce livre soulève de nombreuses questions : Y a-t-il une vie après la mort ? Paradis ou enfer ? L’auteur, Benoit Duteurtre, nous a présenté en deux scènes (le paradis – l’enfer) une imitation de la vie terrestre : le privilège, la pénalisation…
            Finalement, avec un vocabulaire vivant, riche et simple et un enchaînement rapide des actions, le roman répondra certainement à quelques-unes des questions des lecteurs et contribuera sans doute à modifier ou infléchir certaines croyances.


Maya Kanj
Université Islamique du Liban
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département de Traduction



L’Ordinateur du Paradis
Benoît DUTEURTRE
Éd. Gallimard, 2014, 211 p.


Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se conserve

 Rien ne disparait jamais complètement sur le web. Qu’arrivera-t-il si tes anciens messages détruits réapparaissent sur ton téléphone portable? Si ton voisin reçoit ton courrier? Dans L’Ordinateur du Paradis, Duteurtre, romancier, essayiste et critique musical français, met en exergue une société rongée par le progrès technique, notamment l’Internet, où la vie privée des internautes est exhibée sur la place publique.
  Arrivé aux portes du Paradis règnent des normes drastiques d'hygiène et de sécurité, et où on lui octroie le numéro 21 – qui pourrait correspondre au XXIème siècle –, Simon Laroche attend le jugement dernier. Lui qui était un haut fonctionnaire et un militant de la défense de la cause des femmes, se retrouve du jour au lendemain sous les projecteurs, suscitant une avalanche de réactions consécutives à une phrase qu’il a le malheur de prononcer “hors interview”: la cause des femmes! La cause des gays! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés. (85)
  Dans ce roman original, Duteurtre s’amuse à mettre en relief deux mondes presque identiques : ”la terre “et “le ciel “, mêlant ainsi le réalisme à l’imagination pour mieux éclairer notre présent. L’opposition du Paradis et de l‘Enfer, des éléments bachelardiens: l’air et la terre, monde spirituel et monde matériel. Ce dernier ne serait-il pas un obstacle au changement, à la nouveauté et au mouvement? Réparti en cinq chapitres, L’Ordinateur du Paradis met en parallèle la vie sur terre et au paradis nourrie par les peurs de l’époque, par “Hadès” dont tout le monde craignait la rencontre. Le passage de l’un à l’autre est marqué par la présence et l’absence de la première personne "je". Ce va-et-vient ne pourrait-il pas contribuer à ce que l’on confonde la réalité et l’imagination? Ne pourrait-il pas encore renvoyer à une réconciliation avec soi lors de la confession des erreurs commises? (148)
  Notons que ce roman se manifeste par un retour en arrière où le narrateur évoque sa vie sur terre. Cette vision rétrospective pourrait accentuer l’idée de l’apparition des anciens messages sur les téléphones portables des individus, des détails de leur vie privée sur cette toile d’araignée accessible au grand public – la Toile. Ainsi elle constitue une angoisse, une maladie qui les rongent. Ce phénomène nous amène à nous poser la question suivante: quelles sont les limites de la liberté d’expression sur Internet? Dans ce monde, les moyens de communication se révèlent comme un piège qui pourrait détruire la vie des utilisateurs. En d’autres termes, c’est “Pandore” sur terre! Oublier le passé et songer au futur ne serait-il pas l’un des messages que Duteurtre cherche à nous communiquer?
  Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Le XXIème siècle le serait-il? Inspiré par Voltaire, Duteurtre tente de nous dépeindre une société identique à la nôtre avec certaines exagérations, révélatrices de l’anticipation sociale. C’est vrai que nous sommes libres mais cette liberté est surveillée : cette fois-ci non pas par Dieu, mais par les pirates des réseaux sociaux. En un mot par Zeus!

  Dans ce monde où les frontières entre public et privé, off et on, droit et devoir, ville et village sont brouillées, pourrions-nous remettre à zéro le compteur de nos péchés? Pourrions-nous aller “tous au paradis“ comme le dit Michel Polnareff, qu’on soit béni ou maudit? Pourrions-nous aimer la vie et détester l’époque?  
  Refermer L’ordinateur du paradis, c’est ouvrir ses horizons, réfléchir aux traces gardées chez et par le lecteur ou plutôt l’internaute, songer au futur en remédiant au passé parce que le constat n’est rien s’il ne nous conduit pas à concevoir l’inédit.


Sandra AL-HALWA
Université Libanaise – Section IV
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Langue et Littérature Françaises
                                                                       


L’Ordinateur du Paradis
Benoît Duteurtre
Éd. Gallimard, 2014, 211 p.


PROGRÈS OU DECLIN ? SUR LA TERRE COMME AU CIEL!

     Benoît Duteurtre est un écrivain et critique musical français, son roman L'Ordinateur du Paradis constitue un va et vient continuel entre le monde réel et le monde imaginaire. Le lecteur est invité à effectuer un voyage fantastique vers l’autre monde, vers l’au-delà avec le héros Simon Laroche. Rapporteur s'opposant à la protection de la vie privée et plaidant en faveur des sites pornographiques, ce dernier s'acharne à justifier, face au tribunal céleste, le fait qu'il mérite de gagner le Paradis.
     Tout dans cet au-delà fictif décrit par l'écrivain concourt à refléter l'image d'une société plongée dans le monde technologique: il s'agit en fait d'un monde numérique avec des ordinateurs, des tickets et des guichets. Le titre  "L'Ordinateur du Paradis", qui déroute à première vue le lecteur, est révélateur de cette union fantastique et extraordinaire du technique et du spirituel.
    Par le truchement de la raillerie et de l'humour, l'écrivain se livre à une satire acerbe de la société moderne et d'une humanité qu'il juge dualiste et hypocrite. Après sa mort, Laroche rencontre un homme sage, un vieux routier, qui se lamente de l’injustice providentielle bien qu'il soit en réalité un criminel conformiste : « En vérité, j’étais militant communiste, complice de crimes atroces ; mais j’ai cru agir pour le bien de l’humanité » dit- il.
     En s’armant d’un style léger et agréable à lire, B. Duteurtre nous présente un roman original qui sollicite la perspicacité d'un lecteur apte à voyager sans cesse dans ces deux mondes sans frontières – réel et fictif – où les sèmes sont, à l'image de la société, ambivalents.
                                                                       
                                                           
Sylvia Ihab
Université  d’Alexandrie 
Faculté des Lettres
Département de langue et de littérature françaises    
                                      



L’Amour et les forêts
Éric Reinhardt
Ed. Gallimard, 2014, 368 p.


Amour ou devoir : l’éternel conflit

 Après avoir lu le dernier roman d’Éric Reinhardt, Bénédicte Ombredanne, fascinée par la profondeur de ses idées, est entrée en relation épistolaire avec lui.
Ébloui par ses lettres qui allient ferveur et humour, Éric Reinhardt la rencontre à deux reprises dans un café où elle lui narre les événements de sa vie misérable qui passent pour un cauchemar terrible. L’auteur décide alors de s’ériger en porte-parole des femmes victimes de harcèlement conjugal en faisant de Bénédicte la protagoniste de son prochain roman.
Bénédicte Ombredanne est à la fois une femme idéaliste, intelligente et passionnée mais elle mène une vie de galérienne. La maltraitance de son mari et sa négligence l'ont conduite à accéder à un site de rencontres où elle a fait la connaissance de Christian. La journée qu'elle passe avec lui est « la plus belle de toute son existence ». Elle lui raconte l’existence infernale qu’elle mène aux côtés d’un homme qui la méprise et l’asservit. Ces confidences, proférées dans un moment de défoulement physique et moral, soulagent Bénédicte. Le souvenir de cet amour devient le refuge où elle s’abrite afin de supporter le martyre que lui fait subir son mari après cette escapade : celui-ci l’interroge incessamment sur ce qu’elle a fait pendant ces heures et l’accuse de l’avoir trahi.
Au fur et à mesure que l'histoire progresse, Bénédicte se trouve tiraillée, telle une Princesse de Clèves moderne, entre son devoir vis-à-vis de ses enfants et son amour envers son bien-aimé. Pourrait-elle supporter les comportements acrimonieux et répugnants de son mari aux dépens de ses émotions?
En marge de l’histoire de Bénédicte, Reinhardt aborde d’autres formes de persécution dont les femmes sont victimes. Ce problème est soulevé par le truchement de l’histoire d’Aurélie, l’amie que Bénédicte rencontre pendant son séjour à la clinique psychiatrique. Celle-ci était traquée par un amant maniaque qu’elle avait rejeté.
Par ailleurs, Éric Reinhardt décrit comment les problèmes conjugaux et le manque d’affection des parents peuvent affecter psychologiquement les enfants. De même, il met l'accent sur les idées stéréotypées qui prédominent dans la société telles que l'indépendance de la femme et son statut dans la communauté.
Outre sa portée sociale, le roman explore les deux faces de la production littéraire, à savoir l’écriture et la lecture. La présence du romancier dans son texte où il joue le rôle de narrateur permet une réflexion sur le statut de l’écrivain dans son œuvre, réflexion qui se double d’une autre sur la lecture et grâce à laquelle le lecteur s’approprie la fiction et l’interprète à sa guise, lui faisant dire ce qu’il veut entendre.  
Du point de vue stylistique, le lecteur est sensible au réalisme qui émane de l’écriture de Reinhardt, réalisme qui se manifeste clairement non seulement dans la description au scalpel et la force évocatrice des figures de style mais aussi dans l’emploi remarquable des italiques. Ceux-ci révèlent le ton sur lequel sont prononcées les phrases et transforment l’histoire racontée en un univers à trois dimensions où le lecteur est jeté de plain-pied, rendant ainsi les souffrances de Bénédicte encore plus attendrissantes.
Ce roman, qui offre un kaléidoscope de sentiments allant de l’ébahissement à l’indignation en passant par la commisération, est loin de décevoir.  


Dina MOSSAAD
Université d'Alexandrie
Faculté des Lettres
Département de Langue et de Littérature Françaises
                           



L’amour et les forêts
Éric Reinhardt
Éd. Gallimard, 2014, 365 p.


           
Sensible à l’histoire que lui a confiée Bénédicte Ombredanne, Éric Reinhardt romancier et dramaturge, prend l’initiative de mettre la vie de cette femme en scène. Une vie qui, imprégnée par la détresse, l’incite à lui raconter une folle journée de rébellion vécue deux ans plus tôt en réaction au harcèlement continuel de son mari. La plus belle journée de toute son existence, mais aussi le début de sa perte.
            Après ses deux derniers romans qui ont obtenu un franc succès, Éric Reinhardt vient briser avec l’aventure de Bénédicte Ombredanne la routine, l’angoisse du ménage familial par la mise en avant de la volonté d’être libre et indépendant.
            L’amour et les forêts met à nu les conflits de la vie conjugale qui ont pour origine des complexes provenant de l'enfance: Jean-François, l’époux de Bénédicte, enfant timide, insignifiant, dans l’attente de l’affection de son père, une affection qu'il n'a jamais eue, incarne dans sa vie conjugale l’homme silencieux, paranoïaque et avaricieux, comme si ce manque d’affection se traduisait par son avarice (il n’a pas eu, il ne donne pas!).
            Bénédicte Ombredanne, agrégée de français, enseignant dans un lycée public de Metz, vit son mariage comme un viol à son intégrité, à sa liberté. Comment trouver un refuge, un asile ?  Que faire pour se sentir libre et indépendante ?
            Comment adoucir l’amertume et la souffrance? La seule issue est-elle dans la trahison!? C’est ce que Bénédicte Ombredanne a trouvé comme remède à sa douleur et sa lassitude. Un homme qu’elle n’avait  jamais connu, une rencontre unique au cours d'un seul après midi.
            Mais c’est cet après-midi passé en compagnie d’un inconnu qui a déclenché sa décadence et sa perte.
            Dès lors elle sera poursuivie par les doutes de Jean-François, harcelée par son interrogatoire étouffant visant à savoir où était sa femme pendant tout un après-midi, interrogatoire qui durera des mois, tout au long de jours et de nuits. Bénédicte finit par tenter de se suicider. Suicide raté, puisqu’elle est toujours vivante.

          Comment pouvoir supporter encore cet homme, son investigation et ses doutes ?

            L’amertume et la douleur s’incarnent enfin par le cancer qui vient achever cette femme humiliée.
Tous les moyens sont bons pour l'époux sadique afin d'ajouter à la souffrance infligée à sa femme. Ainsi, il chasse la femme de ménage, suite à l'arrêt de travail de Bénédicte. Cette dernière, épuisée par la chimiothérapie, est dès lors obligée d'effectuer elle-même les tâches ménagères. Alors que sa femme souffre d’hypothermie à la suite des séances de chimiothérapie qu’elle subit, il rechigne à allumer le chauffage au mois de septembre. Il refuse également de lui acheter une perruque sous prétexte qu’elle s’est débarrassée de sa première perruque suite à sa guérison de son premier cancer – « Si tu l’avais conservé comme je te l’avais dit de le faire, tu aurais pu la remettre, bien fait pour toi! ». Et lorsqu'elle reçoit une perruque de sa sœur, il lui lance: « Tu es parfaitement pitoyable avec cette perruque. Tu crois que tu n’avais pas assez de ta maladie, qui t’enlaidit, sans avoir besoin d’en rajouter une couche en te mettant cette perruque de vieille ? ».
            Peut-on ne pas compatir à la souffrance d’une personne qui se sent nue, nue de toute affection, et de toute considération, une personne qui se sent de moindre valeur qu’un animal que l’on caresse, qu’une plante que l’on arrose, qu’un objet qu’on époussette, encore moins qu’une prostituée que l’on rétribue ?
            Si ce roman obtient le prix Goncourt, ce sera parce qu’au cours de sa lecture, le lecteur sera parvenu à entrer dans le quotidien de cette femme malmenée au point où il s'identifie à sa souffrance, avec l'image qu'elle a d'elle-même et de son bourreau, à la faveur de ce court moment de bonheur et de liberté qu'elle a payé de sa vie entière.


Nour EL-KADRI
Université Libanaise – Section IV
Faculté des lettres
Département de langue et littérature française


     

L’Amour et Les Forêts
Eric REINHARDT
Ed. Gallimard, 2014, 365 p.


Et un jour…la vie me délivrera !

    Faire l’amour sous les draps d’un lit chaleureux ou sous les feuillages des arbres, aussi longtemps que l’on désire… telle était l’aspiration ardente de Bénédicte Ombredanne, une femme harcelée par un mari « compliqué », « timide », « mutique » et « paranoïaque ». Confiant le malheur qui affecte sa vie à un écrivain sensible aux peines des femmes, Éric Reinhardt, celui-ci entreprend de magnifier avec ses phrases « magiques » le drame de son existence. Il met alors en scène l’existence décevante d’une femme engloutie dans les eaux « sépulcrales » d’un enfer conjugal.
   Cet écrivain, romantique, idéaliste, plonge sa plume dans les méandres les plus profonds, les plus choquants et les plus indécents ; dans une relation où le silence d’un vide cruel et mortel est envahissant. Mariée à un harceleur certifié, l’héroïne perçoit sa vie, désormais, comme un calvaire lourd à traîner, un esclavage terrifiant où la résignation est de mise. Pour fuir son sort tragique, ce martèlement obsédant qui hante sa vie jour et nuit, elle érige un monde chimérique où se déploient librement ses fantasmes puisés dans les histoires de héros de la littérature. Mais très vite, son désir le plus refoulé ne tarde pas à faire surface, ce soir de mars où tout va basculer.
   Ce soir-là, Bénédicte décroche un rendez-vous avec son amant idyllique, Christian, rencontré sur un site Internet. En appuyant sur la sonnette de Christian, « sa stridence retentit à l’intérieur de toute son existence réveillant la sensation qu’elle avait été enfant et qu’un jour elle serait vieille c’est pourquoi elle avait bien raison de profiter de l’existence ». Du tir à l’arc, des flèches se précipitent vers la cible que Christian a fixée sur un tronc pour apprendre à Bénédicte à tirer. 
   C’est une retrouvaille solennelle, sensuelle sous l’éclat d’une lumière tiède, au bord d’une forêt, au sein d’une nature qui se dresse derrière eux comme une toile de fond majestueuse prête à agrémenter ces instants de bonheur. Des instants, qui feront de cette journée, la plus belle de toute son existence. C’est une escapade sublime « au milieu des vieilles racines des arbres, avec les branches qui font voûte ».
   Dans ces 368 pages, Eric Reinhardt tente, habilement et ingénieusement, d’atteindre l’affect du lecteur. Ce récit émouvant nous tient en haleine dès les premières lignes. L’agencement astucieux et métaphorique des mots permet de brosser non seulement le portrait sensible d’une femme rêveuse qui se heurte aux frustrations de la réalité, mais aussi celui d’une situation sociale précaire aussi délicate qu’on peut le croire. Déclarant que Bénédicte Ombredanne est son avatar féminin, l’auteur se livre en compagnie de Bénédicte à l’écriture, en partant à la recherche d’un maillon perdu : elle, lectrice, à la recherche de soi, et lui, écrivain, à la recherche de la phrase magique, celle, qui comme dans l’alchimie, transforme la réalité souffrante en art à lire. L’auteur et sa lectrice se réfugient derrière les mots pour être à l’abri de la férocité d’une vie sur laquelle ils n’ont plus aucune prise.
   Ce roman va au-delà de la narration d’une simple intrigue, celle de l’histoire tragique d’une femme. C’est un signal d’alerte qui secoue le lecteur et le réveille d’une somnolence inconsciente, à l’égard du temps qui passe indifférent à ses peines et à ses joies. C’est une invitation à méditer l’impact et le pouvoir que peut avoir autrui sur son existence… c’est une invitation à méditer sur NOTRE existence qui ne dure qu’un temps.


Ronza HACHEM
Université Libanaise – Section II
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département de Langue et Littérature Françaises

                                                             

L’Amour et les forêts
Éric Reinhardt
Paris, Gallimard, 2014, 368 p.


Ombre damnée, violence et errance…

            L’Amour et les forêts est un roman d’Eric Reinhardt qui relate l’histoire de Bénédicte Ombredanne, une femme de 36 ans harcelée par un mari autoritaire, dévastée, entravée par ses paradoxes.
            Elle envoie alors des lettres à son auteur favori Éric Reinhardt dont elle a profondément aimé le dernier roman. Une correspondance par courriels s’amorce entre les deux et aboutit à leur rencontre à Paris où ils discutent des ouvrages de l’écrivain. Un deuxième rendez-vous est organisé quelques mois plus tard où Bénédicte raconte à l’auteur son calvaire, sa torture et sa relation conjugale marquée de violence. Elle s’est révoltée une seule fois contre son vécu contraignant en cherchant un refuge sécurisant loin des conflits qui secouaient sa vie. En effet, Bénédicte s’est inscrite sur Meetic et a entretenu quelques échanges virtuels qui ont abouti à un rendez-vous avec un antiquaire nommé Christian.
            Elle rejoint Christian chez lui dans une demeure située à l’orée d’une forêt et vit « la plus belle journée de sa vie ». Mais incapable de se détacher de sa situation d’épouse, elle finit par rompre avec Christian pour retourner à son enfer conjugal, à son ancienne vie terriblement malheureuse. Christian ne devient qu’un souvenir échappatoire.
            L’amour et les forêts est un magnifique portrait de femme qui nous force à regarder la société avec ses nœuds. C’est un roman dont le style est puissant et riche, qui nous plonge au cœur d’un couple malsain au sein duquel domine une violence invisible pour les yeux mais bien palpable par le cœur.
            Éric Reinhardt donne en effet l’impression d’une profonde souffrance en composant des phrases très longues sans ponctuation et quasiment sans retour à la ligne. Ce procédé nous fait vivre la souffrance de Bénédicte et son cauchemar quotidien. Il nous ouvre les yeux face à ceux qui souffrent en silence.
            C’est un roman réaliste au point qu’on a parfois l’impression de lire un témoignage. Il est certes une fiction puisque l’idée est née de lettres envoyées en 2008 par une femme brisée et privée de liberté. Notons au passage que la vérité de ce récit se manifeste dans la profondeur psychologique des personnages : Bénédicte, personnage principal, cultivée, sensible et féminine qui a vécu une vie accablée de fardeaux oppressants. Le narrateur est lui-même l’auteur du roman, ce qui justifie la présence de la première personne du singulier tout au long du premier chapitre lorsque nous y découvrons ses deux rencontres avec Ombredanne dans un café (« j’ai eu envie », « j’ai perçu », « j’ai répondu »…).
            Le lecteur ne s’ennuie pas au fil de ce roman assez long composé de 368 pages, au style  fluide, au vocabulaire et aux tournures bien conçues tout au long du livre.

            Il faut aussi noter la présence de figures de style riches, qui ont aidé l’auteur à divulguer le sens : aucune métaphore ne sonne faux, aucune comparaison n’est inutile. Celle du début du roman « comme un lapin dans les phares d’une voiture » marque combien l’auteur était surpris en écoutant Bénédicte.
            De plus, la variété des lieux confère un cachet réaliste au roman ; le lecteur se sent plongé au sein des actions du tir à l’arc en forêt à la cafétéria, d’un hôpital psychiatrique, du salon de message au site de rencontres sur Internet.
            Éric Reinhardt a très bien su nous faire sentir ce que certaines femmes vivent au sein de leur couple. À travers son roman qui frôle la perfection, il nous attache à l’héroïne, à sa vie, à sa souffrance, sans nous permettre de reprendre une seule seconde notre souffle, soutenu par un style d’écriture intense et passionnant.


Zaynab CHEAITOU
Université Islamique du Liban
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de Traduction



Charlotte
David Foenkinos
Éd. Gallimard, 2014,  221 p.


Charlotte, entre les vagues ténébreuses de la mort et les flots lumineux de la créativité

La mort peut-elle faire naître l’art ? Charlotte, dont le treizième roman de David Foenkinos porte le nom, est une artiste et peintre allemande née en 1917 et morte en 1934. Charlotte Salomon, dont le père est nommé professeur à l’Université de médecine de Berlin, a vécu une série de drames ; sa mère, sa tante et sa grand-mère se sont toutes suicidées. Étant d’origine juive, Charlotte quitte le lycée et commence ses études d’art à l’Académie des Beaux-arts de Berlin où elle sera privée du premier Prix d’un concours d’art en raison de ses origines. À cause de l’antisémitisme ambiant, Charlotte se trouve obligée de quitter le pays pour se rendre dans le sud de la France chez ses grands-parents où elle tente de surpasser les malheurs vécus, et c’est là que sa passion pour la peinture commence à se révéler en elle pour lutter contre le désespoir. Elle étouffe à contrecœur un amour passionnel pour un homme dont elle ne cesse de brosser le portrait dans ses peintures. De 1940 à 1942, Charlotte se consacre à son œuvre autobiographique – «Vie ? Ou Théâtre ? » –, formée de tableaux, où elle peint son passé, ses souvenirs, sa famille et ses amis. Une fois son œuvre terminée, elle la confie à un ami proche avec ses mots : « Gardez-les bien, c’est toute ma vie ». 
La découverte de l’œuvre de Charlotte a profondément ému David Foenkinos. C’est la raison pour laquelle il décide de lui consacrer tout un livre alors qu’il l’avait simplement évoquée dans plusieurs de ses romans. Foenkinos a su peindre le portrait sensible et vrai d’une jeune femme talentueuse et courageuse.
Par moments, David Foenkinos exprime ce qu'il ressent à l’égard de Charlotte qui le fascine au point de l'obséder. Sa passion pour elle le submerge et c’est alors que Foenkinos lui rend un magnifique hommage, comme si elle était sa sœur, sa mère, son amour. D’émotion, il ne parvient pas à écrire deux phrases d'affilée. Pour reprendre son souffle, il ira sans arrêt à la ligne. C'est ainsi qu'est né ce roman retraçant la vie de Charlotte sous la forme d'un long poème narratif, en vers libres mais brefs. Au bout de chaque ligne, le point final tombe comme si c’était le silence de la mort. Cette mort qui côtoyait la vie de Charlotte dès son plus jeune âge et tout au long de sa vie : «Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe », «Charlotte comprend tôt que les morts font partie de la vie», «Souvent, elle [sa mère] raconte à Charlotte qu’au ciel tout est plus beau.»
Mais face à la mort, l’art devient pour Charlotte une délivrance et un point de refuge contre les peines et les malheurs vécus. La peinture se révèle alors pour la jeune fille comme seul moyen de vivre et de faire revivre les êtres qui lui sont proches.
Quelle fascination enfin pourra ressentir le lecteur à qui la mort se dévoile comme un destin fatal ! Ce très bel ouvrage, doté d’une si puissante force d’attraction qu’il est difficile de l’abandonner, expose le destin d’une jeune fille surdouée, d’une artiste exceptionnelle, mais aussi d’une amoureuse…


Aya Samir FARID
Université d’Alexandrie
Faculté des Lettres
Département de Langue et de Littérature Françaises



L'amour et les forêts
Eric Reinhardt.
Éd. Gallimard, 2014, 366 p.


Résignation ou révolte?

            Éric Reinhardt, annonce à ses lecteurs, dès le premier chapitre, qu'il a rencontré une lectrice en 2008, qui l’a touché par la lettre admirable qu'elle lui envoie à la suite de la parution de l’un de ses romans.
            Cette lectrice est Bénédicte Ombredanne, une femme mariée ayant 2 enfants et qui souffre de la jalousie de son mari, Jean-François, de sa brutalité et de son harcèlement continuel. 
            Bénédicte n'est autre que l’ « avatar féminin d’Éric », une victime qui a besoin d'être secouée par l’écriture, cet acte salubre qui lui donne envie d’exister: « Moi aussi j'attends des livres que j'entreprends d'écrire, qu'ils me secourent, qu'ils m'embarquent dans leur chaloupe, qu'ils me conduisent vers le rivage d'un ailleurs idéal ».
            L'amour et les forêts est un titre assez curieux puisqu’on sait déjà ce que c’est que l'amour, mais on ignore ce que symbolise une forêt. On devine qu’elle peut être dense et menaçante, et devenir soudain une clairière. Bref, une aventure de l'obscurité à la lumière ou l'inverse. Une chose est sûre : dans une forêt, on se perd et on se retrouve. Dans ce roman de portrait d'une femme, les forêts symbolisent les hésitations de Bénédicte, la jalousie de son mari, et sa nostalgie de liberté. Le style de l'auteur est vif. Je vous conseille de lire ce roman de révolte féminine: je trouve que dans chaque femme existe une Bénédicte assoiffée de liberté.


Amira EL-DAKHS
Université Ain Shams
Faculté des Langues (Al- Alsun)
Département de Français


Pas Pleurer 
Lydie SALVAYRE
Ed.Seuil,2014,279p.                                                                                                                                                                      

Une parenthèse heureuse

            Tout comme un tableau accroché seul dans une chambre vide à laquelle manque  une pincée de poussière d’étoiles, l’histoire des grandes guerres se trouve prisonnière d’un cadre froid. Tout d’un coup, des doigts magiques viennent combler les vides de ce tableau solitaire dévoilant l’atrocité de ces moments de terreur.
            Dans son roman intitulé Pas Pleurer, Lydie Salvayre raconte la guerre civile espagnole et l’histoire de sa mère pour qui cet été de 1936 demeure le seul hymne retenu par une mémoire paralysée.
            Sur cette route, l'auteure s’efforce de planter, sur une terre stérile, une fleur d’amour pour rendre hommage à sa mère et ramasser les pièces manquantes d’une mémoire en lambeaux tout en respectant la réalité historique.
            « Ma mère s’appelle Montserrat Mondus Arjon, un nom que je suis heureuse de faire vivre et de détourner pour un temps du néant auquel il était promis ». La mère de Salvayre oublie tout : son mariage de plus de 70 ans, les longs hivers et une langue française peu à peu grignotée par l’espagnol : « Tu l’as comprendrie ? ». Tout sauf une parenthèse heureuse et enchantée : l’été de ses seize ans.
            Montserrat « la mauvaise pauvre » a refusé d’aller faire la bonne chez les riches. « Une mauvaise pauvre est une pauvre qui ouvre sa gueule » résume la narratrice. Le 31 juillet 1936, elle quitte en camionnette son petit village avec son frère Josep pour rejoindre Barcelone et les anarchistes de Durruti. Montse et son frère laissent derrière eux leur village après une tentative vaine de mise en place d’un système égalitaire.
            À Lérida, Josep et sa sœur expérimentent le vrai sens du verbe « vivre ». Ils s’évadent, rient et échappent à la lourdeur du quotidien. La guerre civile et les idées libertaires ouvrent à Montse un tout autre horizon : un français prénommé André va lui faire connaître la volupté de l'amour. Elle retournera chez elle enceinte d’une honte qu’il faudra laver en épousant Diego, le fils communiste d’une famille bourgeoise.
            Cette guerre a été nourrie par la prédominance écrasante de la religion catholique, les injustices sociales, les rancœurs et la violence des deux camps. Montse, comme beaucoup de jeunes de son époque, a cru qu’un nouveau monde était possible. La fragilité de la jeunesse au moment où la guerre éclate est mise en évidence dans ce roman : on est jeune, partisan, on veut agir, on doute, on se pose des questions, on sombre dans le désespoir… On perd, on perd tout ! Bien qu'ils soient de deux camps différents, Diego et Josep ont lutté pour une cause et ont subi un sort dramatique: le premier est expatrié et le deuxième meurt.
            Ce livre laisse parler deux voix : celle de Georges Bernanos, nationaliste et auteur des Grands Cimetières sous la lune, qui raconte la violence exercée par les nationaux et l’Église catholique contre les Rouges et la voix de Montse, qui plonge avec ivresse dans la joie libertaire, racontant l'enthousiasme qui anime Josep, républicain révolutionnaire, enthousiasme qui se métamorphose en dégoût et honte face aux crimes commis par les Rouges.
            Le rythme fluide des phrases, les paroles inachevées, le langage poétique porté par les voix des différents personnages saisissent le lecteur qui plonge dans cette histoire cousue avec ce fil rouge et noir qui sépare les deux camps.
            Ce récit jalonné de paragraphes numérotés à la manière d’un livre d’Histoire révèle non seulement la modernité des thématiques traitées mais aussi l’objectivité de la narratrice qui s’attache à être la boussole du lecteur en le guidant dans une lecture analytique où il compare et émet des hypothèses moralisatrices. À travers les pages, le cadre historique et l’expérience personnelle sont les aiguilles de cette boussole balançant le lecteur entre les évènements sur le terrain et l’expérience personnelle des personnages.
            Lire Pas Pleurer serait simplement lire sa propre histoire dans des pays où la guerre semble être une phase indispensable à la création d’une identité nationale. Indispensable ? Il faut du temps pour le savoir mais ce qui est sûr, c’est que la guerre nous mord dans le cou alors que l’écriture devient cette main libératrice qui nous permet de respirer de nouveau. D’ailleurs un lecteur hispanophone pourrait mieux s’identifier à cette histoire qui est la sienne. Les textes en espagnol lui donneront le plaisir de lire l’histoire, à explorer les causes et à en assumer la responsabilité.  « Queremos Vivir » , « Viva la Repùblica ! Viva la Revolución ! Viva la Libertad » sont des slogans qui rappellent au lecteur hispanophone que la liberté et la révolution étaient et resteront toujours les devises de la patrie.
            Tout comme un tableau ayant retrouvé ses couleurs, Pas Pleurer fait naître un mirage au milieu de notre désert.


Jana JURDAK
Université Libanaise - Section II  
Faculté des Lettres et des Sciences humaines                                                                
Département de Langue et Littérature françaises


Pas pleurer 
Lydie SALVAYRE
Ed. Seuil, 2014, 279 p.  


Quiero vivir (je veux vivre) !

            Le roman Pas  pleurer signé par Lydie Salvayre, auteure lauréate du prix Hermès du premier roman pour La Déclaration,  relate la guerre civile espagnole. Il donne deux visions de la même histoire, deux versions, l’une de Bernanos, un témoin direct de la guerre, et l'autre de Montse, la mère de la narratrice.

            L'œuvre est divisée en trois chapitres : le premier fait le récit de la guerre civile et des raisons de son déclenchement, le deuxième décrit la vie des personnages, le troisième raconte comment la guerre se termine et évoque ses retombées.
            La spécificité d’écriture de ce roman réside dans la fusion entre la langue française et la langue espagnole. Cet  amalgame a un avantage : retrouver cet aspect réaliste de l'histoire. Toutefois, si le lecteur ne maîtrise pas l’espagnol, il ne comprendra rien. 
            Chaque personnage joue un rôle remarquable dans l’œuvre : Bernanos est un fervent partisan de la guerre civile et de ceux qui dénoncent la terreur exercée par les nationaux avec la bénédiction de l'Église contre « les mauvais pauvres ». Montse est celle qui passe par différentes phases dans sa vie la rendant plus résistante et plus solide qu’avant. Diego respecte la guerre mais est hostile à Joseph, frère de Montse. Après la mort de ce dernier, Montse décide d'oublier tout le passé et de commencer une nouvelle vie avec ses deux filles Lunita et Lydie.
            Ces péripéties rappellent la Syrie actuelle. Par exemple, dans le roman, la population exige la justice, la dignité, et le non-despotisme. De même, le peuple syrien se révolte contre la dictature mais cette révolution a tourné en une guerre civile entre le FAS et l'armée syrienne.
            À mon avis, la narratrice a été fidèle à la réalité historique espagnole. Lydie Salvayre a donné deux visions qui font apparaitre son talent romanesque, entre violence et légèreté, entre brutalité et finesse.


Miram MOHAMMED
Université Ain Shams
Faculté des Langues – Al Alsun
Département de Français


Pas Pleurer
Lydie Salvayre
Éd. Seuil, 2014, 288 p.


Cris espagnols ressuscités

       Née d’un couple de républicains espagnols exilés dans le sud de la France depuis la fin de la guerre civile espagnole, l’écrivaine Lydie SALVAYRE a obtenu le prix Hermès du premier roman pour La Déclaration et le prix Novembre pour La Compagnie des Spectres, traduit dans une vingtaine de langues. Elle raconte dans son nouveau roman Pas pleurer des événements de la guerre civile espagnole qui mêlent rires et larmes. Le titre est un appel lancé aux gens à vivre sans pleurer, sans souffrir, en négligeant les malédictions de la vie.
       De plus, le roman s’approprie la voix de Bernanos, écrivain français et témoin direct de la guerre d’Espagne, qui dénonce la terreur exercée par les nationaux avec les bénédictions de l’Église catholique.
       Les déséquilibres d’ordre social, politique, régional et spirituel d’un côté et les rêves de fraternité, liberté et égalité d’un autre, étaient les facteurs de déclenchement de cette guerre. Les pauvres souffraient à cause de la maltraitance des riches. L’Église a dévié de son rôle principal et s’est acharnée contre le peuple. La volonté de changement s’est répandue dans tout le pays. Le peuple a été déchiré entre les libertaires, les communistes et les nationalistes. Aussi le roman nous plonge-t-il donc de plain-pied dans la politique.
       L’écrivaine se moque de l’idée d’« épuration systématique des suspects » pendant la guerre. Elle ridiculise l’Église catholique espagnole et raille aussi les religieux.
     Le lecteur est emporté dans une série d’événements et tout au long de la lecture, la voix de Bernanos avertit du fléau nationaliste en soulignant et réprouvant les crimes franquistes. Bien que le roman soit à dominante politique, nous retrouvons des histoires d’amour très sentimentales, prouvant que la vie est toujours partagée entre les moments de bonheur et de malheur.
        La fin du roman semble pourtant très douce. Et pour vous?


Doha EL ASSAAR
Université d’Alexandrie des Lettres
Département de Langue et de Littérature Françaises


Pas pleurer
SALVAYRE Lydie
Ed. Seuil, 2014, 288 p.

Cuando el cuerpo sobrevive pero el alma se pierde...    

     Évoquer les évènements d’une guerre qui risque d’être oubliée est une tentative de se dresser contre le traumatisme qui écrase la mémoire. C’est ce qu’a essayé de faire Lydie Salvayre, dans son roman Pas pleurer inspiré du pamphlet de Georges Bernanos Les Grands cimetières sous la lune, publié en 1938.
          Montse Arjona, mère de l’auteur, a vécu son enfance au sein d’une famille catholique conservatrice. En essayant de sortir de son entourage opprimant, elle est allée avec son frère Josep au village de Lérida, où ils ont trouvé la sérénité et le bonheur longtemps attendus. Mais elle est retournée enceinte d’un Français qu’elle ne reverra plus. Elle a donc dû épouser Diego, fils adoptif d’une famille bourgeoise, pour éviter le scandale. Mais quand les nationaux arrivent au village, elle et beaucoup d’autres femmes et enfants sont obligés de s’exiler en France.
        Deux voix narratives entrent en jeu dont l’une nous renvoie aux années brumeuses de 1936 et l’autre recouvre le moment présent. Joindre ces deux temporalités n’a d’autre objectif que de confirmer l’existence du lien indélébile qui les unit. On se rend compte que le moment présent n’est qu’une des conséquences du passé. Ce dernier ne doit donc pas être omis de notre mémoire, afin que les moindres évènements ne soient pas « petits au regard de l’Histoire ». Montse, ‘mauvaise pauvre’ espagnole, prend la parole dans ce roman, et reconstruit les restes de ses souvenirs rattachés à la guerre. Elle évoque son passé mémorable durant lequel elle perd son frère Josep. On est donc forcément face à un jeu temporel, qui nous ballotte entre passé raconté et  présent vécu.
            Les deux premiers chapitres de ce roman mettent en parallèle les souvenirs de la mère qui s’opposent à ceux de Bernanos. Quant au personnage révolté de Josep, il est l’équivalent de Georges Bernanos dans Les Grands cimetières sous la lune. Les deux ont dénoncé les terreurs qu’ils ont vu commettre par des gens de leur propre camp. Ils poussent donc le lecteur à avoir le courage de renoncer aux crimes qu’on accomplit au nom de la loi. Par ailleurs, on remarque que les moments d’« émerveillement » et « la joie enfantine » retracés par la mère sont confrontés à l’expérience assombrie et les atrocités vécues par les victimes de la guerre dans l’œuvre inspiratrice de Bernanos. Lydie Salvayre projette l’anxiété vécue par sa mère dans notre présent, de façon à inviter son destinataire à prendre conscience de ce qui l’entoure. Son projet est de faire de Pas pleurer un roman universel, dont nous pouvons tous nous servir afin d’être plus attentifs aux horreurs qui dévorent notre monde. Le langage hyperbolique et répétitif ainsi qu’un lexique de colère et de vulgarité sont au service de l’objet de ce roman. De plus, l’auteur choisit de reprendre dans son ouvrage les mêmes expressions que sa mère, co-narratrice, laquelle utilise le français cru qu’elle a commencé à apprendre dès son arrivée en France. Plus encore, on retrouve une critique dominante des massacres des « mauvais pauvres » qui ont eu lieu avec l’approbation de l’Église catholique et contre lesquelles Josep, personnage révolté, a essayé de lutter.
       Bien qu’écrit en écho au pamphlet de Georges Bernanos, Pas pleurer n’apporte pas avec la profondeur attendue les analyses et comparaisons auxquelles s’attendait le lecteur. D’ailleurs le projet universel et atemporel de Bernanos aurait dû être avancé plus clairement. En dépit de ses quelques défauts, Pas pleurer est un roman qui hante la conscience humaine ainsi que la mémoire collective. Lydie Salvayre nous laisse vaciller entre un passé imprégnant et un présent précautionneux.


Paula Nassif                                           
Université Saint-Joseph
Département de Lettres Françaises - Saïda
Licence, 3ème année



L'ordinateur du paradis
Benoît DUTEURTRE
Ed. Éditions Gallimard, 2014, 211p.



Internet: enfer ou paradis?

            Qui peut nier que notre vie est dominée par la modernité technologique et par les divers types de mass media, devenus de véritables obsessions et des besoins essentiels pour la plupart d’entre nous ? L'Internet est l'un de ces médias, qui facilite la communication entre n'importe quelle région de ce monde; il nous ouvre plusieurs fenêtres de culture et de connaissance. Mais, à côté de ces avantages, ne comporte-t-il pas des inconvénients? Benoît Duteurtre est un romancier, essayiste et critique musical français qui nous montre à travers son roman L'Ordinateur du paradis  les pièges d’Internet qui peuvent menacer la vie privée des personnes et la compromettre. L’auteur commence de manière assez loufoque à nous présenter la vie après la mort. À travers ce détour dans l’au-delà, fantaisiste seulement en apparence, il aborde en réalité d'autres sujets tels que la protection de la vie privée, la pornographie, le féminisme et la modernisation de notre monde.
            Dans ce roman, l'au-delà comporte des salles d'attente où il y a des ordinateurs, des tickets, des dossiers qu'il faut remplir en répondant à des questions concernant la vie du sujet sur terre, des hôtesses, des gens de différentes nationalités et origines et des avocats qui peuvent défendre chaque individu.
            Ensuite, le récit se focalise sur l'histoire de Simon Laroche, personnage principal du roman, qui est rapporteur de la commission des libertés publiques. Sa vie se déroule plutôt sans encombre jusqu'au jour où tout bascule. Un virus informatique fait transférer les infos d'un utilisateur à un autre et Simon découvre un jour que, "sur le Web, rien ne disparaît jamais complètement". Cela l'horrifie et le trouble, puisqu'il passait son temps au bureau à surfer sur des sites porno et à regarder sa favorite "Natacha". Il prend peur que les autres découvrent ce qu'il regarde, ce qui peut dès lors causer la ruine de sa carrière, salir sa réputation et affecter le regard que portent sur lui sa femme et son fils. À partir de ce moment, le sentiment de culpabilité ne le quitte plus.
            Mais le vrai problème est déclenché par une phrase prononcée en privé (lors d'un débat radiophonique), mais qui a été enregistrée puis diffusée sur Internet: " La cause des femmes! La cause des gays! J'en ai marre de ces agités qui s'excitent pour des combats déjà gagnés." Alors le public le juge négativement, des groupes de femmes l'attendent chaque jour, devant son bureau, en scandant : "Shame on you". Le personnage doit faire face aux attaques les plus diverses. L'auteur parle aussi d'un "dérèglement" qui frappe tout le monde: les mails supprimés reviennent à leurs destinataires, mais se trouvent distribués aussi à leur entourage. Simon aura bien des sueurs froides!
            Benoît Duteurtre présente dans son roman deux points de vue différents sur la question de la pornographie: "Nous, en tant que femmes " qui constitue un mouvement s'opposant à la pornographie sur Internet parce que pour les adhérents à ce mouvement, la femme mérite le respect et non pas la dépravation étalée sur les sites. L'autre point de vue est celui du mouvement " Nous, en tant qu'hommes " qui est tout à fait contre ce manifeste (90% des consommateurs de pornographie sont des hommes).
            L’Ordinateur du paradis est un magnifique roman qui mérite d'être lu. Il illustre parfaitement notre époque qui baigne dans la technologie et l'Internet. En outre, ce roman prouve qu’Internet menace non seulement la vie privée des personnes, mais aussi la sécurité des États. C'est une réalité qui existe dans la vie et qui peut faire chavirer le destin de n'importe qui. Le paradis technologique devient pour Simon Laroche un vrai cauchemar. Nous pouvons ajouter que les sujets sont traités avec un style simple et léger et le roman est écrit avec humour, ce qui pousse le lecteur à suivre aisément le personnage pour découvrir de quelle manière il se trouve aux portes du paradis et pour savoir quelle sera sa destination finale.

Angy MAKSOUD
Université Saint-Joseph
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Français



Le roi disait que j’étais diable
Clara DUPONT-MONOD
Ed. Grasset, 2014, 225 p.



Un royaume à deux rois…


            « Ma bataille portait un visage, un regard hébété, une couronne. Et je devais me protéger » (Aliénor). « Ma faiblesse porte un visage, un regard d’armure, une couronne. Et je dois me protéger » (Louis). 
            Dans son roman Le roi disait que j’étais diable, Clara Dupont-Monod redonne chair à Aliénor d’Aquitaine, mettant en scène l’histoire d’une femme de pouvoir qui a construit sa propre légende à travers les siècles. L’auteure s’attarde sur la vie d’Aliénor  avec Louis VII, roi de France. Elle met en relief la vie des époux royaux dissemblables qui divorcent après quinze années de mariage.
            Le roman est divisé en deux parties. La première s’étend du mariage du couple royal jusqu'à son départ à Antioche lors de la deuxième Croisade. Elle alterne la vision des deux personnages, une alternance qui permettra de révéler leurs personnalités très différentes et la complexité de leur relation. Aliénor, reine forte et puissante, est remplie d’impatience et de colère. Suite à son mariage, elle quitte sa belle Aquitaine et se trouve enfermée dans le palais à Paris. Elle est emportée par les poèmes et la guerre, et se voit offerte à un homme qu’elle n’estime pas et méprise. Au contraire, Louis a un caractère faible, passif et pacifique. Son amour fou pour Aliénor le conduit à sa perte, l’opposant à l’Église et à l’abbé qui le guide. Elle le détourne de ses propres convictions.
            La deuxième partie relate la croisade de Louis VII jusqu'à l’annulation du mariage. Elle est racontée par Raymond de Poitiers, prince d’Antioche et oncle d’Aliénor.
            L’auteure alors présente deux figures du Moyen-âge diamétralement opposées, mais se focalise sur le personnage principal qui est Aliénor d’Aquitaine. Une femme orgueilleuse et violente qui profite de son pouvoir pour régner à la place de son époux tombé amoureux d’elle au premier regard et à qui il ne peut résister. Cette personnalité unique fait d’elle la reine de son temps.
            Le roi disait que j’étais diable est un roman passionnant qui présente différents thèmes tels que l’amour non partagé, la force destructrice, l’inversion des rôles traditionnels féminin et masculin… Il raconte non seulement l’histoire de deux personnages-clés de l’époque, mais donne à chacun d’eux une voix et une personnalité, laissant au public la liberté de les apprécier ou non. Clara Dupont-Monod fait revivre l’Histoire et anime le Moyen-âge sous les yeux du lecteur avec un vocabulaire riche et une construction qui rend la lecture captivante et donne envie de découvrir la vérité et la vraie vie des personnages.


Maryam HMAYED
Université Islamique du Liban
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de Traduction



Le Roi disait que j’étais diable
Clara DUPONT-MONOD
Ed. Grasset, 2014, 225 p.


Le Roi disait que j'étais diable ou l’histoire d'un couple mal assorti


                  « Je t'ai aimée aussitôt et, dans le même instant, tu m'as effrayé. C'était un mélange de perte et d’offrande [..]. Mes guerres perdues, c'était toi. Et jamais je n'aurais pensé qu'une défaite pouvait être aussi belle » (p. 28).
            Le Roi disait que j'étais diable est le sixième livre de la romancière et journaliste Clara Dupont–Monod, journaliste qui se distingue par une particulière vivacité d'esprit. Sa prédilection pour l’époque médiévale, plus précisément pour le XIIe siècle, toile de fond de ce roman, est un trait saillant de son écriture qui se veut surtout historique.
            Contrairement aux romans précédents où Clara Dupont–Monod soulignait la domination des rois sur les reines, la romancière reprend ici la figure mythique d'« Aliénor d'Aquitaine » et  se concentre uniquement sur la première partie de sa vie avec Louis VII, partie durant laquelle l’héroïne connaît « l'ennui, la maturation et l'impatience ». La romancière nous entraîne avec délectation au sein de la vie conjugale du roi et de la  reine et nous dévoile avec succès les enjeux de la vie royale. Plongé dans un passé lointain, le lecteur n'est jamais dépaysé puisqu'il est sans cesse interpellé par l'actualité des faits relatés.
            Le titre, assez révélateur, résume toute l'intrigue. Roman historique d'une construction captivante, Le Roi disait que j'étais diable met en scène deux figures antithétiques et fait ainsi de la divergence la teneur exacte du roman.
            L'auteur part de l'Histoire et construit son roman comme un chant à deux voix discordantes. Le récit, composé de chapitres courts, voit alterner les pensées et les points de vue d'Aliénor et de Louis, ce qui donne, certes, un rythme au récit  tout en  révélant au niveau de l'attitude et du caractère des personnages l'incompatibilité de ces deux époux,  deux êtres très dissemblables et qui vont pourtant se retrouver à la tête du royaume de France. Louis était destiné à la prêtrise, c'est un homme de prières et de paroles plutôt que d'actions et de batailles, bref un négociateur dont l’amour fou pour Aliénor le conduira à sa perte. Aliénor, femme puissante et souveraine déterminée, se montre cependant froide, rebelle et distante en amour. « Scandaleuse, libre, conquérante, séductrice », Aliénor préfère la colère à la joie, la guerre à la négociation, la liberté aux convenances. Ainsi, l'antagonisme des deux époux sur le plan psychologique n'est-il que trop évident. En effet, l’auteur a le génie d'introduire des notions de psychologie dans la relation du roi et de la reine où actes et paroles sont à réinterpréter et prêtent toujours à une étude approfondie afin de saisir, au fil de la lecture, les nuances de « cet amour impossible ». Balzac n'assurait-il pas que : « En amour, il y en a toujours un qui souffre et l'autre qui s'ennuie » ?
            Chacun des deux personnages possède sa théorie et demeure prisonnier de sa perception de l'autre. De là émane le discours intemporel d'un homme et d'une femme qui ne pratiquent qu’« un dialogue de sourds ». Clara Dupont-Monod s'inspire ainsi des grands moments de l'histoire pour en faire des récits humains touchant le lectorat de tous les lieux et de tous les temps. Le cas du roi Louis VII et de la reine est donc celui de nombreux couples qui souffrent de l'incompréhension mutuelle.
            Quant au style, il se caractérise essentiellement par l'emploi de phrases courtes et tranchantes qui constituent autant de réflexions philosophiques : « la puissance ne se mesure pas aux phrases qu'on prononce mais aux coups qu'on donne. Les mots, eux, sont pour les poètes. Pas pour les rois » (p. 65).
            Le Roi disait que j'étais diable est un véritable moment de plaisir où le lecteur se sentira proche des personnages de l'histoire, proximité dont il ne se lassera pas. En somme, un roman assez intéressant, court et épatant pour découvrir le Moyen Âge. Il ne reste finalement qu’à se procurer le livre pour connaître le dénouement de la vie du couple.


Yara Eid MOHANED et Marwa EL ZEINY
Université d'Alexandrie
Faculté des lettres
Département de langue et de littérature françaises



Le roi disait que j’étais diable
Clara DUPONT-MONOD
Ed. Grasset, 2014, 225 p.


Aliénor, l’âme noire de Louis…


        La force, la dominance et le pouvoir sont des qualités souvent attribuées non aux hommes seulement, mais également aux femmes et en l’occurrence à Aliénor d’Aquitaine. Le roi disait que j’étais diable, de Clara Dupont-Monod, met sous les yeux des lecteurs le Moyen-âge, en faisant revivre la fascinante Aliénor d’Aquitaine du point de vue de l’auteur. Menée à se marier au roi de France, Louis VII, pour des intérêts politiques, elle s’assure dès la première rencontre qu’elle ne va jamais l’aimer. Son caractère spirituel, calme et en apparence faible, dérange Aliénor et la pousse à le mépriser. En revanche, lui tombe amoureux fou de cette femme toute puissante, rebelle et laïque. Ainsi, ce livre est tissé par les voix croisées de ces deux personnages, chacun commentant les actions de l’autre. Et c’est cette double narration qui va donner un certain rythme au récit.
       Ce n’est pas le premier livre qui s’attarde sur la vie d’Aliénor d’Aquitaine. Cette femme a souvent marqué la littérature par de nombreux romans (Le Lit d’Aliénor de Mireille Calme), des poésies (Le Livre d’Aliénor d’Oulipo) et des pièces de théâtres (Aliénor ou l’aigle se réjouira de Mathieu Falla). Mais on peut dire que ce livre s’attarde sur Aliénor d’un point de vue différent que ceux engagés dans les autres livres.
            En effet, Clara Dupont-Monod présente Aliénor d’Aquitaine comme étant une femme de pouvoir, une femme de guerre et de bataille, débordant de vitalité et de sensualité. En revanche, elle présente Louis VII comme un homme politique à la recherche d’un pouvoir centralisateur et d’une unité nationale. Donc, en effet, Louis n’est pas totalement un homme faible ou un homme sans pouvoir, comme le perçoit Aliénor. C’est un homme intelligent qui croit davantage en la diplomatie qu’en la guerre, un homme qui a vraiment aimé sa femme et a cédé à son amour. C’est aussi un homme d’un caractère plus vraisemblable que le caractère d’Aliénor. Il a essayé de se changer pour plaire à Aliénor et par la suite a traversé différents états psychologiques, tandis qu’Aliénor conserve une stabilité psychique, donnant libre cours à la colère et à la haine tout au long du livre. Elle veut toujours la guerre et le pouvoir. Elle n’évolue pas (« Enfant de la colère et de la haine, Aliénor, tu n’es que ça, une enfant  »). Aussi pourra-t-on dire que C. Dupont-Monod veut montrer qu’Aliénor est un être qui est en retard par rapport à son époque, car elle appartient au monde ancien.
            On ne peut pas être neutre face à l’écriture de Clara Dupont-Monod. Il faut valoriser le fait que l’auteur a pu, avec une facilité remarquable, transformer des grands moments de l’histoire en un récit dont les personnages sont d’une force singulière et proches de nous.
       C’est vraiment un livre à lire, qui va nous faire réfléchir à un moment où il faut arrêter de faire la guerre et détruire et commencer enfin à reconstruire.


Rayane ATWI
Université Saint-Joseph
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Lettres françaises - Saïda



Le Roi disait que j’étais diable
Clara DUPONT-MONOD
Ed. Grasset, 2014, 240 p.


La guerre entre l’art et la politique

            Le Roi disait que j’étais diable est le nouveau roman de Clara Dupont-Monod. Journaliste et écrivaine française, l’auteure est connue pour sa passion du médiéval, qui lui a déjà fait écrire deux romans situés à cette époque : La folie du roi Marc, La passion selon Juette.

            Ce roman est inspiré de l’histoire mais c’est aussi un récit de fiction grâce auquel on peut retourner vers une certaine période du Moyen-âge. L’œuvre nous promène dans l’histoire de France de ce temps-là.
            L’auteur écrit son roman dans une narration à double voix et adapte ses caractères historiques de l’histoire légendaire d’Aliénor d'Aquitaine. Elle met en scène l’histoire et la légende de ce personnage historique qui décrit la réalité de notre vie comme toute autre légende qui reflèterait la réalité de la vie dans le monde.
            Les événements se déroulent entre Aliénor et son époux Louis VII, roi de France. Ce dernier est tombé follement amoureux d’elle dès le premier regard. Or ces deux personnages s’opposent quasiment à tous les niveaux. Aliénor, la reine, déteste le roi et refuse son amour. Très fière d’elle-même, elle aime la guerre, le poème, l’art et la nature et déteste en même temps la religion, les abbés et les bourgeois. De son côté, le roi, très religieux, aime tout ce que sa femme déteste et déteste tout ce qu’elle aime. Il préfère la négociation, les religieux et la politique.
            Ce roman décrit le conflit permanent entre l’art et la politique, le beau et le laid, la guerre et la paix, le bien et le mal. Nous y retrouvons les thèmes du conflit, la guerre, la haine, la complexité et l’orgueil. Aliénor est le symbole de l’art, de la colère et de la révolte. Avec son caractère guerrier, elle s’oppose à toutes les règles du palais royal. Si elle est orgueilleuse, c’est parce que cela dépend de son esprit poétique qui lui permet de s’opposer au pouvoir royal. Son engouement pour la transgression des règles imposées rend son âme libre et courageuse.     
            « Le roi est mon mari. Ce n’est pas un homme de colère mais de mots. Il s’entretient à voix basse avec son abbé. Il récite souvent les textes sacrés, tout seul, en marchant. Il ne décide rien sans l’avis de ses vassaux. Louis rêve d’une vie monacale, de paroles et de respect. Tout ce que je fuis depuis l’enfance. Tout ce que je hais.» 
            Ce roman représente l’opposition deux symboles : Aliénor et Louis Vll. La première est le symbole de la poésie, de colère, de la fierté et de la haine contre le système politique. Le second est le symbole du pouvoir politique qui tente par tous les moyens de régner sur le monde entier.
            Certes, le lexique des mots anciens dans le roman de Clara Dupond-Monod nous fait voyager dans l’ère historique et mythique du médiéval.


Sarhang MOHAMMAD HAMA AMEEN
Université de Salahaddin
Faculté des langues
Département de français



Le roi disait que j’étais diable
Clara DUPONT-MONOD
Ed. Grasset, 2014, 225 p.



Un amour impossible

            La guerre entraîne de graves séquelles aussi bien au niveau des collectivités qu’au niveau des individus. Les élans du cœur sont entravés, les consciences sont enterrées dans les gouffres de la nécessité et de l’intérêt. L’étoile ailée de la vie saigne. Des racines sont arrachées et la jeunesse voit flétrir ses rêves et ses espoirs aussitôt nés. Le roman de Clara Dupont-Monod est un miroir qui reflète l’image de la société française au ???e siècle. Son style fluide et motivant invite le lecteur à découvrir son roman dans lequel elle reprend la figure mythique d’Aliénor d’Aquitaine.
            Aliénor avait treize ans lorsqu’elle épousa Louis ???. Ce dernier était destiné à la vie monacale mais il est projeté sur le trône après la mort de son frère Philippe. Dans ces 225 pages, le récit affecte tellement la pensée du lecteur que celui-ci se pose la question suivante : continuerons-nous à considérer l’homme comme le seul responsable de l’échec de la vie conjugale? En effet, le rapport de force est mortel, abstraction faite de la personne qui l’exerce. Aliénor a fait de l’amour un pont qui l’aide à parvenir à ses fins. Le roi, éperdument amoureux de la reine, ne mesure pas les conséquences de ses actes. Son caractère pacifique, pieux et faible le rend esclave « des yeux gris » de sa femme: « un seul de tes mots et je redeviens ton valet. Mon amour pour toi fait mon désespoir. Il suffit que je pense à toi pour que mon cœur éclate » (p. 140).
            Aliénor descend d’une lignée d’ancêtres bagarreuse et puissante. L’humeur altière et la volonté de puissance de ses ancêtres pèsent lourd dans ses décisions et sur sa conduite.  Elle voudrait que son mari soit guerrier avant d’être roi. L’amour aveugle que ressent le roi envers son épouse le détourne de ses convictions et le pousse à défier le pape et à lancer une campagne contre le comte de Champagne. L’image des femmes et des enfants luttant contre le feu qui dévore leur tunique ne cesse de hanter l’esprit du roi: « Depuis Vitry, tu dors paisiblement. C’est mon tour d’être encerclé d’ombres » (p. 140).
            Selon la Bible, l’amour rend l’homme heureux. Il lui permet de voler voluptueusement et de planer librement mais on ne peut pas nier que dans ses plumes se dissimule une lame acérée qui blesse les cœurs, disperse les rêves et crucifie un roi tout puissant au lieu de couronner son prestige. C’est ainsi que l’auteur brosse le portrait d’un roi anéanti, écrasé par sa femme belliqueuse : « Et personne ne m’a appris, à moi, que l’on pouvait aimer quelqu’un qui vous détruit » (p. 102).
            Le roman de Clara Dupont-Monod doit sa richesse à l’alternance des points de vue et des narrateurs. L’auteur remonte le temps et nous permet, à travers son livre, de revisiter une période de l’Histoire de la France mais ce roman vise un public spécialisé d’intellectuels et d’historiens chercheurs et risque donc de paraître érudit au grand public.
                                                                                                                                                           
                                                                                                                                                                    Pascale SALAMEH
Université Libanaise – Section II
Faculté des Lettres et des Sciences humaines 
Département de Français






L’Amour et les Forêts
Éric Reinhardt
Ed. Gallimard, 2014, 367 p.




L’Amour et les Forêts et la Condition Féminine



   Si les romans d’amour ne manquent pas dans un monde assoiffé d’affection, le traitement de ce sujet reste un exercice à manipuler avec précaution. Parmi les romanciers de la rentrée littéraire 2014 qui ont choisi la voie charnelle dans leur nouveau roman, nous retrouvons Eric Reinhardt, auteur français de plusieurs œuvres, notamment Cendrillon publié en 2007 et dernièrement auteur de L’Amour et les Forêts paru aux éditions Gallimard. Faisant partie des huit dernières œuvres retenues pour le Prix Goncourt-Choix de l’Orient, L’Amour et les Forêts n’a toutefois pas eu droit au titre, décerné cette année à Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Une élimination que je peux comprendre ayant moi-même quelques réticences quant au contenu du livre. 

   Avant de commencer la lecture du roman, et pour tester la réception de l’œuvre, je me suis rendue sur les réseaux sociaux souhaitant découvrir l’avis des lecteurs concernant le roman de Reinhardt. C’est là que j’ai pris connaissance du sujet qui m’a fort intéressé. Une femme, Bénédicte Ombredanne, voulant fuir sa vie de couple presque inexistante, et désirant redonner sens à sa vie de femme, tombe sous le charme de Christian, célibataire de Strasbourg qu’elle découvre sur un site de rencontres. Commence alors sa liaison secrète avec l’homme ; une liaison qui, cependant, ne dure qu’un jour suite aux doutes de son mari. Des doutes qui finiront par être confirmés. Cette aventure d’un jour sans lendemain cause à Bénédicte la perte de ses deux enfants qui ne veulent plus entendre parler d’elle. Pour couronner le tout, Bénédicte apprend quelques temps plus tard qu’elle est victime d’une maladie qui finit par s’emparer de sa vie. Sujet très intéressant certes, mais que l’on pourrait accuser d’être noyé dans un chaos de style familier et de détails inutiles, ce qui ne permet pas toujours au lecteur de suivre convenablement le fil de l’histoire. En effet, la problématique de la condition féminine étant très actuelle de nos jours, il aurait été préférable de s’y concentrer sans tomber dans les scènes à impression de téléréalité. Mettre l’accent sur la vie d’une mère, oui, mais aller jusqu’à employer les termes des adolescents de tous les jours – dont les anglicismes – et s’attarder sur les détails des journées des enfants est moins enthousiasmant que ce qu’on peut imaginer. Sans oublier les discussions par chatting qu’entretient Bénédicte avec ses ‘’clients’’ sur le site de rencontres, qui nous sont retranscrits dans un style si brut qu’il nous coupe l’envie de suivre la discussion. Je ne critique pas l’érotisme dans les romans, mais l’érotisme sensuel aurait peut-être était mieux perçu  que les images presque pornographiques qu’illustre le roman. Nous remarquons à plusieurs reprises que Bénédicte dit vouloir vivre une aventure avec son amant et rentrer tard le soir comme le ferait une femme libre. Mais est-ce vrai que la liberté de la femme au XXIème siècle se résume à une relation adultère ? Une vraie femme libre n’est-elle pas au contraire celle qui serait prête à assumer ses choix devant son mari sans cacher durant plusieurs mois son aventure pour finir par craquer sous le harcèlement dont elle est l’objet de la part de celui-ci ? Un tas de questions nous envahit, qui nous laissent sur notre faim une fois le livre clos.

Janine BADR
Université Saint-Joseph
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Français



L’amour et les forêts
Eric Reinhardt
Ed. Gallimard, 2014, 367 p.


Bénédicte Ombredanne ou la vierge Marie

            L’écrivain français Eric Reinhardt s’est imposé dans le monde des lettres avec cinq ouvrages dont le dernier est  L’amour et les forêts. Comme le titre le suggère, il s’agit d’un mélange de deux réalités ou plutôt de l’au-delà et de la réalité. Reinhardt,  écrivain sensible et fin, a fait d’une lectrice particulière l’héroïne d’un roman. Cette lectrice qui s’appelle Bénédicte Ombredanne partage avec l’écrivain la passion de la littérature qui est l’allée vers l’au-delà.

            Avec Bénédicte Ombredanne,  on réalise à quel point la vie peut ressembler à des forêts. Bien sûr, une femme harcelée par l’homme qu’elle a choisi pour la vie, considérée comme une servante qui n’a pas droit à une évasion pour la première fois de sa vie après le mariage, va subir  la sauvagerie de cette forêt.

            Par la suite, L’amour et les forêts nous apprend que la question des droits des femmes n’est pas d’actualité seulement en Orient, mais également en Europe où il se trouve encore des femmes victimes des clichés de la société qui les réduit à une source de pitié. Cette œuvre nous plonge dans le monde intérieur de l’héroïne à tel point que le lecteur se met à la place de Bénédicte Ombredanne.

            Autre question délicate que pose le roman, celle de l’adultère. Bénédicte Ombredanne a réalisé son rêve un jeudi en rencontrant un homme qui lui fait oublier l’amertume de l’existence pour six heures de temps. Et là, la lecture se mue en procès : peut-on reprocher à Bénédicte Ombredanne ces six heures d’adultère ?  La sauvagerie du mari ne justifie-t-elle pas le comportement de la femme ?
Aznavour a dénoncé en chanson l’injustice que peuvent subir les femmes et la nécessité de les protéger par les lois :
« Depuis qu’avec l’homme sur terre elle fut mise
   La femme pour des millénaires  fut soumise »

            Eric Reinhardt, par une œuvre fascinante, a dévoilé la réalité navrante, mais hélas commune, d’une femme de ce monde. À nous, lecteurs et lectrices, de saisir le message et de prendre  position pour changer cette pénible réalité.


Rime KHALAF
Université Saint Joseph
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Français

 
La ligne des glaces
Emmanuel RUBEN
Ed. Rivages, 2014, 315 p.



Voyage impossible aux frontières inconnues


            Emmanuel Ruben est un écrivain français, né le 16 novembre 1980 à Lyon. Il a étudié la géographie à l’École normale supérieure de Lyon, puis il a poursuivi ses études à Paris, à l'Institut de géographie et à l'Institut National des langues et civilisations orientales. En 2004, Il entame une carrière de professeur d'histoire-géographie à Paris.

            Le troisième roman d’E. Ruben, La ligne des glaces, traite certains thèmes fondamentaux de la vie : l'existence, l'espoir, l'aventure, la réalité et la mort, ainsi que  l'histoire, la guerre, la géographie, la diplomatie et la politique.

            « Tu peux la chercher sur toute l’étendue de la Terre, ta ligne rouge, Samuel, disait Lothar : il n’y a plus, nulle part, de frontière ». « Ce n'est pas un ravin. C'est un caractère. Un caractère de météorite de toute l'Eurasie ? Quoi ? Un météorite aurait tombé ici ? ». « Voici un beau défi aux lois de la probabilité ».

            Réfléchir et méditer sur la vie, s'engager dans une quête frontalière impossible, se mettre dans la situation la plus difficile : être neutre. Samuel a finalement découvert le fil qui puisse l’aider à accomplir son travail dans un mystérieux pays de la Baltique appelé « l'île K. » inconnue.

            Accompagné d'un ami linguiste, Lothar, et d'une jeune fille Néva, Samuel commence son exploration. Ce jeune homme est envoyé par l'ambassade pour une mission de recherche internationale. Comme il est un géographe de formation, il devra délimiter les frontières maritimes de ce pays qui reste inconnu tout au long du livre. Ce qu'on sait à propos de ce pays est que c'est une île qui se situe dans la mer Baltique, à la frontière de la Norvège et de la Russie. Une île où la neige et l'hiver ne cessent pas. Cet explorateur ne connaît rien du pays, ni sa langue, ni sa culture, ni ses habitants. Il va y rester presque un an, portant son appareil photo au cou, son carnet en poche, tentant de comprendre ce qui l'entoure. Samuel a visité plusieurs pays dans sa vie, et pour cette raison, il croit trouver des traces d'Amsterdam, d'Italie et même de Turquie.

            Samuel a commencé sa mission. Mais, rien ne l’aide afin qu’il accomplisse celle-ci : ni la culture du pays, ni ses habitants, ni le climat. Aussi Samuel se retrouve-t-il dans une situation d'échec parce qu'il ne sait rien du tout. C'est véritablement une mission impossible où un étranger doit découvrir un pays inconnu dans des conditions mystérieuses. Où doit-il aller ? Comment mènera-t-il ses recherches ? Et comment saura-t-il identifier et interpréter les signes lors de sa mission ?

            Face à toutes ces questions, Samuel se sent incapable de travailler. Il devient de plus en plus isolé, allant de bar en bar avec son ami Lothar. Il tente d’oublier cette misère et ses peines.

            Malgré toutes ses recherches, la mission demeure inachevée. Samuel passe alors ses journées à sortir, s'amuser et boire. Il commence à  douter de l'existence des frontières et de ce pays appelé « La Grande-Baronnie ».

            « Journées de plus en plus brèves. Neiges de plus en plus abondantes. Novembre avive le sentiment de vivre nulle part. Sentiment doublé bientôt de celui de vivre hors du temps. Les Anciens jugeaient que le temps s’écoule différemment sur une île. Ce pays – permettez ce sophisme – serait donc une île. Mettons des îles, oui, une espèce d’archipel chimérique inventé par un idiot et situé dans un angle mort de l’Europe ».

            Le roman d’E. Ruben touche l'actualité. Il nous rappelle les problèmes mondiaux d'aujourd'hui qui prennent naissance partout dans le monde, comme par exemple la crise entre la Russie et l'Ukraine, où la guerre est activée pour telle ou telle délimitation d'une ligne : la frontière. Par une simple lecture, on peut discerner plusieurs problématiques politiques et culturelles propres à l'Europe. Et ce qui est vraiment intéressant, c'est que ce roman nous ramène pour un moment en arrière dans l'histoire pour nous montrer ce que la politique peut faire selon des stratégies qui n'ont jamais de limites. Les frontières sont des lignes matérielles alors que les limites frontalières de la politique ne sont que des traités internationaux.

            C'est un roman écrit avec un style littéraire vif et riche qui touche le lecteur et le pousse à s'attacher au roman. Ce style attractif montre la capacité et l'intelligence de l'auteur car ce dernier a pu décrire l'actualité dans un livre tout simple et riche, prouvant que les frontières n'existent que sur le papier et dans les cerveaux. La vraie identité est l'humanité.


Batoul KALLAS
Université Islamique du Liban
Faculté des lettres et des sciences humaines
Département de Traduction



Charlotte
David FOENKINOS
Ed. Gallimard, 2014, 221 p.


Charlotte : Leben ? Oder theater ?



            David Foenkinos, avec son 13ème roman, réussit à conjoindre tous les domaines artistiques, comme il le fait d'habitude, mais cette fois-ci dans une œuvre écrite en vers. Pourquoi a-t-il utilisé ce style d'écriture poétique dans un roman ? A-t-il voulu renouveler l'écriture romanesque ? Ou bien a-t-il voulu donner à ce roman l'allure d'un singespiel, l'équivalent d'une pièce chantée ? Ce roman en hommage à Charlotte Salomon ne retrace pas seulement la vie de celle-ci à partir de son œuvre autobiographique Vie ? ou théâtre ? mais raconte également la quête d'un écrivain,  David Foenkinos, hanté par cette artiste et qui part lui-même à sa recherche.

            Génie extraordinaire, Charlotte, issue d'une famille juive, a vécu une vie tragique et un amour fou mais de courte durée, inoubliable pour elle jusqu'à sa mort. Charlotte, dont le père est un grand médecin allemand, vit des drames personnels et collectifs, sa mère s'est suicidée alors qu'elle n'avait que sept ans; plus tard elle devra faire face à la Deuxième Guerre Mondiale. David Foenkinos est un jeune auteur qui jouit d'une notoriété digne d'être remarquée. Il étudie à la Sorbonne, tout en se formant au jazz, ce qui l'amène au métier de professeur de guitare. Il a toujours avoué son admiration pour l'œuvre d'Albert Cohen dans son ensemble, et il a régulièrement décliné le thème de l'amour dans ses romans. Ici, il déroge à cette habitude. Pour la première fois ce thème n'occupe pas une place centrale dans le récit.

            « Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe ». Dans une famille où le suicide paraît comme un héritage, nous pouvons nous demander si Charlotte ne sera pas elle aussi tentée par le recours au suicide. Cette femme-génie va subir toutes les cruautés de la guerre et du racisme. Jusqu'au moment où, en France, elle s’enferme dans une chambre pour peindre son chef-d’œuvre qui représente sa vie tragique et son amour caché. « Sur son corps, elle écrit le titre : « Leben ? oder theater ? ». Elle finira par le donner à un docteur en lui disant : « C'est toute ma vie ». Morte à l'âge de vingt-six ans alors qu'elle était enceinte...

            Est-ce que Charlotte a vécu une vie ou une pièce de théâtre tragique ? «J'étais tous les personnages dans ma pièce ; J'ai appris à emprunter tous les chemins ; Et ainsi je suis devenue moi-même », a-t-elle écrit.

            Ce roman très beau à lire, nous donne envie de nous jeter dans une salle de cinéma. Il montre la nécessité de se rappeler les guerres monstrueuses et absurdes du passé surtout par nous, lecteurs du monde arabe où éclatent des guerres non moins absurdes et qui font des milliers de victimes. Il ne faut pas répéter le passé. Enfin, David Foenkinos dit : « Chacun lit ce que son cœur écrit ».


Hiba ORABI
Université Saint-Joseph
Faculté des lettres et sciences humaines  – Branche Tripoli
Département de Français


Charlotte
David FOENKINOS
Paris, Gallimard, 2014, 221 p.



« Vie ? Ou théâtre ? »



            « Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe ». L’incipit du nouveau roman de David Foenkinos intitulé « Charlotte », publié aux éditions Gallimard, mérite d’être cité parmi les incipits les plus marquants de la littérature, de par sa force et sa poésie.

            Dans ce nouveau roman, David Foenkinos change de registre par rapport à ses romans précédents, et son style se fait plus grave pour évoquer la mémoire de Charlotte Salomon, jeune artiste peintre allemande, juive, née en 1917 et morte en 1943 à l’âge de 26 ans, dans le camp de concentration d’Auschwitz alors qu’elle était enceinte.

            Dès l’incipit, le thème de la mort imprègne l’itinéraire du personnage de Charlotte dont la vie fut une succession incessante de souffrances et d’humiliations. Une vie marquée surtout par une tragédie familiale, le suicide de toutes les femmes de sa famille. Il y eut d’abord sa tante, la sœur de sa mère, dont elle porte le prénom, suivie par sa mère et enfin par sa grand-mère. Pour Foenkinos c’est peut-être ainsi qu’on devient artiste, « en s’accoutumant à la folie des autres » et en cherchant dans ses propres ténèbres une lumière créatrice. Car Charlotte essaie d’échapper à cette malédiction et à cette folie qui la poursuit, et c’est entre 1940 et 1942, alors qu’elle était en exil au sud de la France, qu’elle réalise son œuvre intitulée “Vie? Ou théâtre?”, une œuvre picturale, formée de centaines de gouaches réalisées avec très peu de moyens, trois couleurs primaires, des notes de musique, et des textes où Charlotte décide de raconter sa vie avec fantaisie et légèreté.

            Derrière cette force créatrice, se cache également un amour, Alfred, dont elle dessine le visage à l’infini dans son œuvre, et une phrase, la dernière phrase qu’il lui chuchote à l’oreille lors de leur dernière rencontre: “Puisses-tu ne jamais oublier que je crois en toi.” Cette phrase donne à Charlotte toute la force et la confiance nécessaires pour survivre au malheur et achever son œuvre.

            Toutefois, Foenkinos le dit lui-même, il y a très peu de documents et l’enquête n’a pas été facile. Face au manque d’informations et à la difficulté de suivre la trace de cette artiste, l’auteur va à la recherche des lieux de sa mémoire pour essayer de rentrer en connexion avec elle, afin de recomposer son parcours et ressentir les mêmes émotions. Cependant, sa principale source d’informations reste l’œuvre de Charlotte elle-même, qui est, rappelons le, une œuvre autobiographique. Mais est-ce que tout cela est vrai ?  Charlotte raconte-t-elle vraiment sa vie telle qu’elle l’a vécue, ou telle qu’elle aurait voulu la vivre? Le titre même de son œuvre : « Vie ? ou théâtre ? » ne laisse-t-il pas le doute planer ? Mais encore, quelle est la part de vérité dans le récit de Foenkinos lui-même ? Est-il resté fidèle à la stricte réalité et n’a-t-il pas rajouté une part d’imagination et de poésie à son roman ?

            Ainsi, comme le déclare Foenkinos haut et fort, son nouveau roman n’est pas une œuvre biographique. Il s’agit plutôt du récit d’une quête, d’une recherche, d’une fascination, où l’auteur cherche surtout à transmettre ses émotions.

            L’auteur a visiblement été marqué par l’œuvre de Charlotte Salomon, jusque là méconnue, et peut être cherche-t-il également, à travers son nouveau roman, à la faire connaître au grand public, et à transmettre sa fascination pour son œuvre et pour cette existence courte, intense et dramatique.

            Pari réussi pour David Foenkinos, qui a fait le choix d’écrire d’une façon assez particulière, une phrase par ligne, des phrases courtes, où la poésie transfigure l’horreur. Une écriture linéaire qui, d’après lui, s’est imposée à lui comme une nécessité, afin de lui permettre (et de permettre au lecteur) de respirer et de reprendre son souffle au milieu de cette tragédie.


Marise HAJJ SAYAH
Université Libanaise – Section II
Faculté des lettres et des Sciences humaines
Département de lettres françaises


Charlotte
David Foenkinos
Éditions Gallimard, 2014, 221 p.


Elle vit à travers ses peintures!


            Charlotte est le treizième roman de David Foenkinos, né le 28 octobre 1974 à Paris. La lecture de ce roman est un grand plaisir.

            Charlotte est la fille du grand chirurgien Albert et de Franziska. La pauvre Charlotte a perdu sa mère qui s'est suicidée ; malgré la vie qui parait très dure, Charlotte refuse de se suicider comme toute la famille de sa mère. Son père s’est remarié avec Paula, que Charlotte aime beaucoup. Sa belle-mère l’encourage à continuer de peindre et à découvrir peu à peu son talent.

            C'est la montée du Nazisme en Europe. Charlotte est obligée de quitter sa famille. Elle a déjà perdu sa mère et sa tante et doit maintenant se séparer de son père, de sa belle-mère, de sa maison d’enfance, de ses souvenirs et même de son seul amour, Alfred.

            Une nouvelle vie commence dans la maison de ses grands-parents ; tous autour d’elle l’encouragent à continuer à peindre, les mots d’Alfred et sa passion pour lui la stimulent aussi.

            La forme du roman est parfaitement structurée, avec des phrases courtes qui lui donnent l'apparence d'un long poème en prose, ce qui contribue au charme de ce roman.
Foenkinos a mis en évidence la force de Charlotte, héroïne obstinée à survivre dans une époque où elle a tout perdu, sauf son talent.

            La talentueuse Charlotte a aidé Foenkinos par son œuvre très célèbre « Vie ? Ou Théâtre ? ». Quand elle peint, elle écrit sa vie et la vie de sa famille. Elle a laissé cette œuvre chez son médecin en lui répétant « C’est ma vie, […] C’est toute ma vie ».

            Une vie qui ne dure que 26 ans, mais qui paraît très longue tant elle est chargée d'évènements tristes, et en même temps de célébrité.

            Jusqu’à la fin du récit, on ne connaît pas le secret du suicide de sa famille maternelle, on ne connaît même pas exactement la teneur du secret qui donne à Charlotte l’espoir et la vie.

            La jeune femme enceinte est décédée le 27 Septembre 1943.

            En réalité, elle continue à vivre grâce à Foenkinos qui l'a ramenée à la vie avec son style touchant.


Mirette MAURICE SOBHI MIKHAEL
Université Ain Shams
Faculté des Lettres
Département de langue et littérature française
                                                                                   


Charlotte
David FOENKINOS
Ed. Éditions Gallimard, 2014, 224 p.


Entre la Vie et le Théâtre


« Elle sonne.
C’est le docteur en personne qui ouvre.
Ah… Charlotte, dit-il.
Elle ne répond rien.
Elle le regarde.
Et lui tend alors la valise.
En disant c’est toute ma vie. »

            C’est par son silence et son regard artistique que Charlotte Salomon a pu traverser son existence longue de seulement vingt-six années. Allemande, juive et enceinte, elle meurt au camp de concentration nazi sous une douche glacée qui lui dévaste le corps. Victime de sa judaïté stigmatisée par le fascisme nazi des années 30, d’un prénom maudit, d’un amour certainement non réciproque, elle trouve dans l’art un exutoire et un subterfuge. Voilà le sort tragique de Charlotte, personnage éponyme du treizième roman de David FOENKINOS. Fasciné, voire obsédé par la vie de cette peintre qui a vraiment existé, le romancier avoue que sa principale source est l’œuvre autobiographique : Vie ? Ou Théâtre ? de Charlotte Salomon qui, se sachant en danger, remet son livre-testament à son médecin en lui confiant : « C’est toute ma vie ».

            Bien que la narration paraisse légère et souple, elle reflète une profondeur pesante au niveau des questions traitées dans le roman: la question du suicide, les problèmes de racisme sous la dictature nazie, les manifestations de la passion amoureuse, etc.
           
            Ce récit de quête, notamment celle d’un écrivain hanté par une artiste et qui part à sa recherche, se distingue par sa forme. En effet, l’écriture s’apparente ici à la gestion du souffle en musique. Chaque phrase/vers s’étale uniquement sur une ligne et se termine par un point final. La forme versifiée s’adapte au propos mais surtout au non-dit.

            Charlotte, c’est l’histoire émouvante et saisissante d’une femme exceptionnelle racontée dans un récit-poème de 224 pages qui vous tient en haleine de bout en bout.


Romy HADDAD
Université Saint-Joseph
Faculté de Lettres et des Sciences humaines
Département de Français


Ce sont des choses qui arrivent
Pauline DREYFUS
Ed. Grasset, 2014, 229 p.


La France et les Juifs



            La scène s'ouvre sur un événement décrit dans ses moindres détails par Pauline Dreyfus: les obsèques de Natalie. Le lecteur connaît dès le début du roman le destin tragique de la protagoniste. La première partie, "Cannes", et la deuxième partie "Paris " dépeignent la vie de l'héroïne pendant la Deuxième Guerre mondiale. L'héroïne brosse un tableau atroce des ravages de la guerre qui est considérée comme un théâtre cauchemardesque. Pauline Dreyfus fait une description minutieuse du statut précaire de son pays en mettant l'accent sur les méfaits qu'a provoqué l'Occupation allemande sur Nathalie, sur laquelle cette atmosphère pèse considérablement, y compris par l'absence des bals masqués et des fêtes que le gratin parisien avait l'habitude d'organiser.

            Natalie de Sorrente, qui appartient  à la bourgeoisie, est entourée d'une pléiade d'aristocrates français et vit dans une société mondaine où prédominent les intrigues amoureuses, la dépravation des mœurs et les relations adultérines.

            Suite à la mort d'Elisabeth, sa mère libertine, Natalie découvre qu'elle est le fruit d'une relation illégitime et que son père est juif .Cet événement qui a lieu à la fin de la première partie représente un tournant décisif dans la vie de l'héroïne. Pourra-t-elle supporter ce fardeau ?

            Après avoir pris connaissance de cette réalité amère, Natalie qui était auparavant fière de ses origines, se détruit en matière sociale et psychologique. Juive dans une société où prédominent l'intolérance religieuse, la discrimination et les lois antisémites, Natalie ne cesse de penser à son sort. Que sera donc le destin des juifs dans un pays antisémites?

            L'écrivaine prend la défense des Juifs en essayant de montrer qu'ils sont les victimes réelles de sa société et cite l'exemple de l'affaire Dreyfus, scandale à la fois politique et judiciaire qui a divisé l'opinion française.

            La bâtardise de Natalie la gêne. Tourmentée à cause de sa perte d'identité et de la destruction subite de son arbre généalogique, la protagoniste prend la décision de partir à Paris afin de rechercher Armand Mahl, son père. Mais pourquoi Natalie refuse-t-elle de rencontrer son père après avoir déménagé exprès pour le chercher?

            Découvrant que son ex-amant André Mahl est son demi-frère, Natalie se noie dans ses malheurs en s'adonnant à la morphine. L'agonie et la souffrance de l'héroïne sont dépeintes de telle manière qu’elles touchent au cœur et suscitent l'affection du lecteur.

            Du point de vue stylistique, l'influence anglaise est surtout mise en valeur dans la narration via le recours à l'anglicisme "Sit up straight" et "nursery rhymes". L'usage récurrent des interrogations vise à établir un dialogue avec le lecteur et à créer un effet de suspense.

            Le meilleur moyen de résoudre le  problème serait-il le recours à la drogue plutôt que d'essayer d'affronter la réalité ?


Donia MOSSAAD
Université d'Alexandrie
Faculté des Lettres
 Département de Langue et de Littérature Françaises


Ce sont des choses qui arrivent
Pauline Dreyfus
Paris, Grasset, 2014, 230 p.



L’ironie du destin



     “Ce sont des choses qui arrivent” ... La mort, les relations interdites, la guerre, l’antisémitisme, la trahison, la grossesse : ce sont ces choses-là qui arrivent dans ce roman.

      Ce dernier débute par la mort de Nathalie de Sorrente en 1945. On connaît donc le destin du personnage principal. En 1940, la duchesse de Sorrente se réfugie sur la côte d’Azur avec son mari le duc de Sorrente, pendant la Deuxième Guerre mondiale. À la mort de sa mère, Nathalie apprend qu’elle n’est pas la fille de son père mais le fruit d’une relation entre sa mère et un homme juif. Comment Nathalie va-t-elle affronter cette vérité inattendue pendant cette période?
     
       Par un style simple, Pauline Dreyfus a pu relater la vie mondaine et artistique à Paris et à Cannes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle a réussi à insérer les Sorrente dans ce mode de vie très chic, avec le tourbillon des dîners et des bals, tout en dénonçant l’antisémitisme.

      Pauline Dreyfus écrit ce roman en se référant un peu à sa vie personnelle puisque sa grand-mère maternelle appartient à ce monde mondain et sa grand-mère paternelle est juive.

      Le roman de Pauline Dreyfus touche à un sujet sensible récurrent mais toujours émouvant, l’antisémitisme. Cette thématique est vue de manière originale à travers les yeux d’une femme aristocrate, intouchable et égoïste.

           

Mira GHADDAR
Université Saint-Joseph
Faculté des lettres et des Sciences humaines – Branche Saida
Département de Français




Ce sont des choses qui arrivent
Pauline Dreyfus
Ed. Grasset, 2014, 230 p.


La balade des gens heureux

       « Puis [sa mère] se saisit d’une hache pour découper en deux moitiés égales le corps de sa fille. Dans laquelle des deux son cœur est-il demeuré ? »

               C’est là la dernière hallucination vécue par Nathalie, duchesse de Sorrente, et qui résume un peu le sort de cette dernière.

       Parler des méfaits de la guerre – la pauvreté, la famine, la peur, la violence, …- c’est du déjà-vu. Mais que dire du destin d’une classe sociale pour laquelle « la guerre », ce sont d’abord « des complications domestiques » ?

               C’est sur ce cheminement là que Pauline Dreyfus, auteure de Ce sont des choses qui arrivent, va s’attarder dans son roman : une peinture sociale de la guerre vue par les riches.

       La guerre éclate, Nathalie fuit avec son mari en zone libre. Bals, fêtes, dîners mondains rythment la vie de cette noblesse et font partie de son quotidien.
              
               À Cannes, Nathalie accouche de son deuxième enfant, Joachim. Ce dernier fait preuve d’une certaine particularité puisqu’il est très brun alors que son père et sa sœur sont roux. Mais qu'importe ? « Ce sont des choses qui arrivent ».  Le garçon conservera le nom de son père, issu de la noblesse d'Empire.

               Un abime s’est alors ouvert sous les pieds de Nathalie lorsqu’elle découvre qu’elle aussi est le fruit d’une « étreinte sans lendemain. » Pour aggraver la situation, elle apprend surtout que son père est juif. Elle est désormais tiraillée entre deux mondes complètement opposés.
               Une crise d’identité vient bien sûr  s’installer au plus profond d’elle-même. Sa vision de la guerre va ainsi basculer du tout au tout, « où se positionne[ra]-t-elle dans une société qui persécute les juifs ? »
Elle souffre d’une solitude démesurée et trouve son réconfort dans « le froid délicieux du liquide qui coule sous sa peau » – les piqures de morphines.

       On pourrait dire ainsi que la combinaison des rythmes lents tout au long des passages, les longues descriptions donnant l’impression de lire un documentaire, le fait que l’intrigue ne soit révélée que plus tard dans le roman, le ton un peu sarcastique de l’auteur, le name dropping, les litotes un peu exagérées (en parlant de la bourgeoisie tout est dit dans le non dit) pourraient rendre la lecture de ce roman plus ou moins ‘’emballante’’ selon le goût du lecteur.

       Cependant on ne peut pas nier le fait que le roman pose des problématiques importantes qui suscitent notre intérêt : Commence-t-on à s’engager seulement quand la réalité nous touche ? Ne peut-on s’humaniser qu’après avoir vécu une souffrance ?
La petite histoire de Natalie de Sorrente ne se mêle-t-elle pas à la Grande Histoire, celle d’un monde en pleine déchéance ?
Un peu pessimiste mais c’est l’après-goût d’un livre qui commence par l’enterrement de l’héroïne.           

Helena Nakrour
Université Libanaise – Section II
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département de Langue et Littérature Françaises





La ligne des glaces
Emmanuel Ruben
Éd. Payot & Rivages, 2014, 320 p.



La double vie de Vidouble

Samuel Vidouble, jeune diplomate envoyé dans un pays de la Baltique, a pour mission de proposer une délimitation des frontières maritimes du pays. C’est un pays où il se sent comme au siècle dernier et qu’il compare aisément aux pays d’Afrique des années soixante. Après les présentations d’usage, c’est avec ces mots que l’ambassadeur commence à lui signifier la difficulté de sa tâche : « vous savez le XXe siècle ici n’est pas fini ».

Guidé par son voisin suisse Lothar Kalters, il se lance au travail. L’arrivée de l’hiver rend son travail de plus en plus difficile. La neige couvrant toute la ville, ce travail paraît à Samuel impossible. Il en arrive même à penser que « c’est l’Histoire avec un grand H que l’hiver paraît vouloir effacer ». N’arrivant pas à accomplir la mission qui lui est confiée et gagné par la mélancolie, il finit par désespérer. Son errance dans ce pays où il se sent étranger et ses nombreux voyages reflètent la crise d’identité dont il souffre. 

Le choix du nom du personnage, « Vidouble », donne l’impression qu’on aura affaire à une double vie du héros. En effet, dans La ligne des glaces le déroulement de l’histoire s’entremêle parfois avec les rêves du héros. Le passage du rêve à la réalité – et vice versa – se produit avec une certaine fluidité qui pourrait parfois prêter à confusion. En outre, Samuel pourrait être considéré comme le double de l’auteur, Emmanuel Ruben, qui a lui-même effectué des études de géographie et l’a enseignée, ainsi que l’histoire, à l’étranger puis en banlieue parisienne. Par ailleurs, l’assonance qu’on remarque entre les prénoms « Samuel » et « Emmanuel » pourrait jouer en faveur de l’idée du dédoublement de l’auteur dans son roman.

La ligne des glaces est un roman long mais qui se lit facilement. Découpé en trois grandes parties divisées en petits chapitres de quelques pages chacun, il procure aux lecteurs des moments de pauses et de réflexion. Le style simple de l’auteur rend la lecture aisée ; les descriptions, la satire et les emprunts à d’autres langues rompent la monotonie et enrichissent le récit.

Nada MEDHAT
Université d'Alexandrie
Faculté des Lettres
Département de Langue et de Littérature Françaises

 



Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Éd. Actes Sud, 2013, 153 p.


Réaction et Création dans « Meursault, contre-enquête »

            Lorsqu'il a lu L'Étranger, il paraît que Kamel Daoud n'a pas aimé le fait que "l'Arabe" n’ait pas eu un prénom. Qui dit prénom, dit identité!! Comme réaction, Daoud crée "Meursault contre-enquête".  Contrairement à  Camus, l'écrivain donne à l'Arabe un nom, Moussa, et une voix, celle de son frère Haroun.

            Haroun, arrivant à l’âge de soixante-dix ans, assis au fond d'un bar, raconte l'histoire de son frère assassiné par un certain Meursault ; un « Mersoul ». Il plaide contre l’absurde d’une vie où l’on est « étranger », l’absurde de la mort qui rend le criminel célèbre et l’injustice ; l’assassin de son frère n’étant exécuté que pour ne pas avoir pleuré le jour de la mort de sa mère. Aussi Haroun vivra-t-il dans l’ombre de son frère Moussa comme Aaron dans l’ombre de Moïse. Obligé à réincarner son frère défunt devant sa mère, Haroun se perd entre son propre moi et la commémoration de son frère. 

            Avoir rédigé son œuvre après le Printemps arabe et ses retombées d'une part, et passant en revue les grands moments de l’Histoire moderne de l’Algérie d'autre part, Kamel Daoud critique la perte d'identité au sein d’un monde laid qui a perdu toute humanité et se révolte contre une religion qu’il trouve inutile, étant incapable d’y faire face. « Haroun-Daoud » cherche le salut dans la confession, où seules les réponses comptent et où les lois terrestres promulguées par les États ne seront plus le pivot. Seuls les lecteurs pourront juger…   

            La langue française a-t-elle pu traduire, avec toutes les répétitions d’idées et les ré-explications, le conflit hantant l’écrivain ? Pourquoi après avoir tant souffert de la perte d’identité et de l’étrangeté au sein de sa communauté, Daoud n’a-t-il pas essayé de se réapproprier la langue arabe et s’est-il contenté de dire : « La langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue » ?


Karen Tarek
Université d'Alexandrie
Faculté des Lettres
Département de langue et de littérature française





Meursault, contre-enquête
Kamel Daoud
Éd. Actes Sud, 2013, 153 p.


Le martyre

            J'avoue qu'au début, après avoir lu le titre et la première page, j'ai pensé que c'était un roman policier, genre qui ne m'intéresse pas beaucoup. Mais au fur et à mesure que j’avançais dans la lecture, le style, la description des scènes et des sentiments m'ont pris et m'ont encouragé à continuer jusqu'au bout.
            L'histoire que Kamel Daoud nous raconte n'est pas une histoire étrange ni imaginaire mais une chaîne d'événements, des réflexions, des conflits intérieurs reflétant désespoir, haine et vengeance.
            On peut le résumer en quelques mots. C'est l'histoire d'un enfant choqué par l'assassinat, non seulement d'un frère aîné et unique, mais aussi de celui qui a remplacé le père disparu, a vécu une vie difficile mené par une mère qui l'a nourri de haine et de rancune contre tous ceux qui partageaient la nationalité avec l'assassin. Sa douleur continue même après avoir tué un Français vingt ans après la mort de son frère.
            L'auteur écrit dans un style attractif qui retient le lecteur, il l'interpelle de temps en temps pour qu’il soit témoin de ses souvenirs tels qu’ils surgissent dans sa tête. Il n'y a donc pas de chronologie des événements dans ce roman, et la biographie de la mère de Moussa côtoie son autobiographie. Dès la deuxième page l'auteur nous explique son intention de conteur (c’est une histoire qui commence par la fin et remonte vers son début). Ainsi, il la commence et la finit dans le même bar.
On peut limiter les personnages actifs au narrateur Haroun et à M'ma, sa mère. Haroun, vieil homme traumatisé depuis son enfance par la mort d’un frère tué de la main d'un colon, souffre de l'injustice. Vingt ans après l'assassinat de son frère, il a réussi à tuer un Français, mais est-il heureux? À mon avis, non…
            Cette volonté de vengeance n'est pas de sa nature : "le jour où on a appris sa mort [de Moussa] je n'ai ressenti ni douleur ni colère, mais d'abord de la déception".
Mais c'est M'ma qui le pousse à commettre le meurtre dont il se sent coupable. « Le sentiment de culpabilité » le conduit alors à détester sa mère, la religion et même lui-même et à s'enfermer tout seul dans la cage de ses souvenirs.


Mansour Ameen MANSOUR
Université de Taëz
Faculté des Lettres
Département de français



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire