Chroniques : Liste de 1ère selection


Le Roi disait que j’étais diable
Clara Dupont-Monod
Éditions Grasset, 2014, 225p.


Sait-on seulement qui je suis ?


Sensible à la cause des personnages oubliés par l’histoire, Clara Dupont-Monod, auteur du roman Le Roi disait que j’étais diable, se donne pour mission de rétablir dans la mémoire contemporaine l’existence d’une femme qui n’a pas hésité à bafouer les diktats des hommes et de l’Eglise : Aliénor d’Aquitaine. Elle semble pourtant refuser de se limiter à la vérité historique. Ainsi, son récit regorge de psychologie moderne et fait alterner les visions discordantes d’Aliénor et de son époux Louis VII. L’innovation ne réside pas dans le malentendu conjugal mais plutôt dans l’inversion des rôles traditionnels.

En effet, contrainte de se marier à Louis VII, Aliénor vit son mariage comme un viol à son autorité préétablie. Son grand-père Guillaume est le premier troubadour ayant bravé l’Eglise pour vivre un amour illicite avec Dangerosa, en l’occurrence sa grand-mère. Fière de cette ascendance, elle scandalise par sa soif de sang et son élan sincère vers la mort. Son accouchement lui-même est vécu comme une capitulation. Son langage cru effraie Louis qui garde souvent le silence même lorsqu’il se met à douter de sa fidélité par crainte de subir les foudres de son mépris. Il a cherché à l’apprivoiser, elle a réussi à l’asservir, le poussant même à trahir ses idéaux et la Bible. La défaite de la dernière croisade est une ultime cicatrice à la vie d’un couple qui n’a plus rien à se dire ; c’est là qu’apparaît une autre voix narrative, celle de l’oncle d’Aliénor qui finira le récit d’une manière insolite. Cette dernière projette déjà de se marier à Henri Plantagenêt, tandis que Louis se réfugie dans la chapelle, abasourdi par le chant de sorcellerie de sa femme, dont il ne sait plus qui elle est.

            Les coïncidences avec le monde actuel sont surprenantes, tant au niveau des révolutions vaines qui n’ont finalement pas mené au « printemps » souhaité, que de la diplomatie des puissants qui se jouent de la destinée des hommes en usant et abusant du nom de Dieu. Ce roman n’est ni un conte de fées, ni un roman épique malgré les nombreuses croisades qui y sont narrées. C’est l’histoire d’un amour impossible à comprendre comme le refus de la différence de l’autre. De nos jours des guerres sont menées pour de raisons futiles, pour une parcelle de terre à la texture de la menthe, au goût de l’oranger, au parfum de la rose et aux couleurs de la mort ; et l’Église, loin d’être un havre de paix, plaide la sagesse en rêvant du trône. Elle devient paradoxalement le sanctuaire d’une humanité, forcément hypocrite puisqu’elle est pieuse et anonyme tout comme la dernière aube chantée par Louis. La liberté de ton et l’actualité des péripéties font de ce livre un roman fort et entraînant.


Rana Bilal-Dib
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises



Charlotte
FOENKINOS David
Éditions Gallimard, 2014, 221p.


Épitaphe : Charlotte Salomon


            C’est en hommage à Charlotte Salomon, artiste allemande et héroïne éponyme que David Foenkinos, romancier français, né le 28 octobre 1974 à Paris, conçoit et fait publier son treizième roman.

            En fait, s’agit-il vraiment d’une « vie » ou d’un  « théâtre » que cette œuvre que Charlotte a laissée après sa mort ? C’est bien une œuvre, sans doute grandiose, mais « qui ne connaît pas longtemps la notoriété qu’elle mérite », qui ne se sait pas s’arranger pour « être exposée en permanence » et qui « la plupart du temps, […] est dans les sous-sols », au Musée juif d’Amsterdam.

            Pourquoi Foenkinos décide-t-il alors de remettre en valeur cette œuvre quasiment oubliée, marginalisée, peut-être même inconnue, en tout cas mise dans une sorte de chambre de débarras ? L’enjeu de son récit consiste-t-il à mettre en évidence le talent artistique de Charlotte ou plutôt, comme le lecteur le comprend petit à petit au fil des pages, la vie tragique qu’elle a pu avoir et qu’elle a sans doute cherché à illustrer au travers de sa production artistique ?

            En effet, Charlotte n’est pas une personne ordinaire. L’évocation de sa vie va de pair avec le tracé d’une voie menant à la mort souhaitée et voulue par la famille même de l’artiste. Sa tante, sa mère et sa grand-mère s’étant toutes trois suicidées, ne lui lèguent-elles pas d’ailleurs le suicide comme héritage familial ? Celle-ci ne choisira-t-elle pas à son tour la mort comme refuge ? comme solution ? ou bien serait-ce la mort qui la choisira après vingt-six ans de solitude, de désespoir et de malheur ?
           
            A une époque où les nazis sévissent et font des ravages, que sera le sort des juifs ? Une femme qui a perdu les membres les plus chers de sa famille, ainsi que la tendresse, le réconfort, la confiance et la joie, qui se retrouve prostrée dans une ambiance effrayante et funeste, que pourrait-elle espérer autre chose que la mort comme délivrance ? D’autant que son seul espoir dans la vie, incarné, par Alfred, qui en arrive à devenir son « tout », ne peut la sauver de l’épouvante qui l’entoure, lorsque, frappée d’exil, elle devra s’éloigner définitivement de lui.

            N’ayant alors plus l’espoir des retrouvailles, la voilà qui trouve dans l’art le biais pour les fantasmer, les sublimer. En ressuscitant tant sa vie que son œuvre artistique, David Foenkinos, tout en dénonçant l’absurdité des dictatures, cherche sans doute, au travers de son roman, à poser la problématique, toujours d’actualité, de la puissance de l’art face à la toute-puissance de la violence.


Raquelle Dagher
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises



On ne voyait que le bonheur 
Grégoire Delacourt
Éditions J-C Lattes, 2014, 359p.


L’amour serait-il assassin?


Dans son roman intitulé On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacourt brise volontairement le silence masculin et raconte la vie de deux générations : la première celle d’André et Fabienne, la seconde celle d’Antoine et Nathalie, pour finir par donner la parole à Joséphine qui racontera la sienne. Deux couples :
  deux chutes et une survivante.

Ce roman, de construction ternaire, met à nu les complexes de la vie conjugale, en nous plongeant dans la malédiction familiale qui y pèse de tout son poids. Traversant  l’amertume de son enfance, Antoine croit à une nouvelle vie, dans le cadre de laquelle il pourrait oublier la condamnation au cancer de son père et les misères non dites de son passé infantile privé de mère, une vie enfin stable avec Nathalie. Mais il a la nette impression que le destin se répète lorsque celle-ci l’abandonne. Perte après perte, Antoine remet alors sur scène son enfance criblée de moments de malheur et d’échecs, décidant de mettre fin à la répétition du même scénario de vie. Il essaie de ce fait de tuer ses enfants et de se tuer. Or, Joséphine survit, grâce à la réaction défensive de son frère Léon et prend la parole narrative comme un véritable acte de libération.

Malgré la longueur du roman (360 pages), la distribution en chapitres, ainsi que la fluidité du style séduisent le lecteur qui suit la voix narrative au fil des pages et du récit de la violence qui y est donnée à voir et qui finit par s’exprimer de la manière la plus impudique et la plus crue.

Or, l’itinéraire romanesque est ici et contre toute attente celui du pardon de l’autre et du salut de soi. En prenant le relais de la narration après son père (faite dans la 1e partie) et de l’entretien de celui-ci avec le thérapeute (effectué dans la 2e partie), Joséphine comprend petit à petit que l’acte infanticide était paradoxalement celui du salut dans la conscience d’un homme blessé irrémédiablement et choisit de garder du souvenir de ce jour définitivement marquant, non le traumatisme, mais le sentiment de bonheur qu’elle éprouvait à être une dernière fois avec son père, Nathalie étant en chemin pour récupérer ses enfants. En effet, ce jour-là, pour les enfants qu’étaient Léon et Joséphine, « on ne voyait que le bonheur »…


Si ce roman a le prix Goncourt, c’est parce qu’il aura été dans une certaine mesure l’autobiographie du silence de tout lecteur, dans son besoin ô combien difficile à exprimer de pardon et de réparation. Sans doute, seul le manque d’amour est-il assassin…

Reem Hassanein
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises



 
Ce sont des choses qui arrivent
DREYFUS Pauline
Grasset, 2014, 229 p.


Catholique ou juive … Qui suis-je ?


« Natalie, Margueritte, Marie, Pauline de Lusignan », quoi donc de plus catholique lorsque l’on se prénomme de la sorte ? Il s’agit des prénoms de l’héroïne que Pauline Dreyfus choisit pour son second roman, Ce sont des choses qui arrivent.

Dans la société française de l’époque de la Grande Guerre, deux catégories sociales se côtoient et s’opposent : la première est celle qui considère la guerre comme un ennuyeux obstacle qui la dépossède de ses frivolités ; la seconde est celle des gens touchés par la famine, la peur et qui croulent sous les sévices de la violence. Notre héroïne, pour sa part, nommément la duchesse de Sorrente, fait partie de la première catégorie.

La première partie du roman, « In Memorian », s’ouvre sur la scène des funérailles de Natalie, après quoi les deuxième et troisième parties opèrent une longue rétrospection narrant sa vie passée à Cannes et à Paris. A Cannes, Natalie de Sorrente apparaît dans toute sa gloire, issue de l’aristocratie française dans laquelle les femmes se lassent souvent de leurs époux et maintiennent des relations adultères pour pallier des occupations vacantes. L’héroïne n’y fait pas exception. Or, le jour de la mort de sa mère, elle apprend qu’elle est le fruit d’une relation illégitime et que son père est juif. Alors aux prises avec sa bâtardise, doublée de la « tare » de la judéité, l’héroïne sombre psychologiquement, avant de sombrer concrètement…

En effet, le passage de Cannes à Paris où la guerre est plus tangible et où les juifs sont maltraités ne serait-ce que par la société française elle-même, augmente chez Natalie l’impression de l’incapacité de s’identifier à un groupe. Cette perte d’identité et de repères sont parfaitement traduits par l’écriture et permet au lecteur de participer à la destruction psycho-sociale de la duchesse.

A la question que se pose le lecteur de savoir comment l’héroïne va se tirer d’affaire répond bientôt le geste de celle-ci de s’adonner à la morphine.

En choisissant ce biais-là, la duchesse de Sorrente ferme les yeux aux atrocités trop pénibles pour elle et qu’elle ne veut voir. Transposant la scène au contexte actuel, le lecteur pourrait bien se demander laquelle des deux attitudes est la meilleure face aux violences d’aujourd’hui : faire l’aveugle et l’insensible ? Ou se battre quand bien même on se saurait condamné d’avance ?


Tamara Tadros
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises



Karpathia
Mathias Menegoz
P.O.L, 2014, 697p.


L’innocence du crime


Ayant le goût des certitudes du fait de sa spécialisation en neurobiochimie, mais angoissé à l’idée que le passé soit détruit au fil du temps, Mathias Menegoz ressuscite à la fois un genre oublié : la fresque historique et un lieu peu connu en Occident : la Transylvanie.

C’est dans un état d’esprit nostalgique que l’auteur envisage justement Alexander Korvanyi, récent bénéficiaire d’un bel héritage et d’une rencontre (un duel) dans un manège qui l’oppose à un officier accusé à tort d’avoir offensé son honneur. Soulagé de ne sentir ni honte, ni culpabilité, il se dirige avec son épouse autrichienne vers la Transylvanie qui, à l’époque, est une mosaïque socio-ethnique opposant Magyars, saxons et Valaques. À l’hostilité des nations font écho les montagnes de la Korvanya encerclant un château noir (source de mythes) et un château blanc.

Bien décidé à remédier aux injustices, Alexander choisit de rester à égale distance entre la faiblesse et le despotisme. Tout imprégné de son idéal féodal, il est amené à résoudre deux incidents susceptibles de remettre en cause sa suprématie incontestable. Sur ce et sous prétexte de plus amples connaissances avec ses pairs, il parvient à les séduire de la nécessité de lutter dans les sommets des Carpates contre un ennemi commun invisible lors d’une partie de chasse à …l’homme ! Se succèderont alors de nombreuses péripéties qui s’achèvent par la mort de quelques milliers d’hommes-gibiers et de certains forestiers persuadés d’un nouveau tour de la Roue de l’Histoire. Ainsi la boucle est-elle bouclée, et les montagnes de cendres et de ruines cohabitent désormais avec les forêts qui se nourrissent d’un sol gorgé de sang.

Si le décor du roman est improbable, le sujet ne saurait être plus contemporain. L’auteur y dénonce les guerres absurdes vouées à l’échec. Des hommes-prédateurs se réunissent autour d’une vengeance et sous la bénédiction d’une soutane souillée bien dissimulée pour perpétrer des crimes irréversibles. Prêts à  risquer leur vie et celles des autres, ils ferment les yeux sur les inégalités et les violences. La mort est devenue une formalité et les liens de sang liquidé soûlent la conscience d’un réseau de relations qui fait du coupable une victime. Malheureusement c’est au prix d’une telle cruauté que le salut est fièrement apporté.

La précarité de l’existence nous fait envisager la mort comme un soulagement d’autant plus que Dieu n’a pas tenu ses promesses. En effet, l’Église complote çà et là selon ses intérêts et des génocides sont commis au nom d’un Dieu qui persiste à rester absent. Les morts sont encore tués et profanés, et la vérité n’est pas à chercher dans les livres d’Histoire mais plutôt dans le passé qui recommence inlassablement tel le reflet du château sur lequel se ferme le dernier chapitre, nous laissant dans la bouche un arrière-goût d’amertume et la nostalgie de l’innocence, à jamais révolue.


Rana Bilal-Dib
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises



Les Tribulations du dernier Sijilmassi
Fouad Laroui
Julliard, 2014, 330p.


Ironie d’un monde à refaire…


Lui qui était l’archétype de la réussite sociale, ingénieur promis à une carrière de directeur, représentant d’une entreprise marocaine à l’étranger devient du jour au lendemain un chômeur décidé à couper le cordon avec son mode de vie moderne et occidentalisé. Adam fait face à un véritable dilemme : petit-fils et fils de doctes issus d’un petit village marocain où « les carrioles qui allaient au souk dépassaient rarement la célérité du mulet » (page 10), mais esclave d’une société de consommation et d’accumulation, le premier de la lignée des Sijilmassi « à atteindre des vitesses absurdes » (page 12). Le personnage éponyme ne prend conscience du tiraillement qui le conditionne qu’à trois mille pieds d’altitude, au dessus de la mer d’Andaman, lors d’un voyage commercial.

Tel un enfant prodigue, Adam prend la décision de rentrer à son Azemmour natal afin de renouer avec le passé de ses aïeux, de retrouver le riad de son enfance, de se replonger dans la culture marocaine, abandonnant épouse et possessions matérielles. Dans ce conte philosophique moderne, Fouad Laroui s’amuse à mettre en exergue des oppositions, une rencontre entre deux cosmos qui semblent très proches, mais que tout sépare. Une rivalité est proposée dès le titre où ces « tribulations » renvoient d’une part aux multiples péripéties homériques qui jalonnent le roman et d’une autre aux épreuves morales accablantes qui ne feront qu’aggraver la situation, rendant l’aventure encore plus risquée et précarisante.

De surcroît, la problématique de la langue française, héritage incontestable de la colonisation, s’avère un des thèmes phares de l’œuvre. En dépit de sa conversion et de son désir de s’exiler tel un ermite en plein Rif marocain, Adam Sijilmassi néglige le plus souvent sa langue voire sa culture originelle, privilégiant la langue de Molière : « Pas une seule phrase du Mutanabbi ou de Chawki, pas un seul verset du Coran. Qui suis-je ? » (page 119). Les Français sont pourtant bien partis, mais ils ont laissé derrière eux une langue qui s’était en quelque sorte arabisée, berbérisée… Cette hybridation linguistique croise la crise identitaire qui agite l’ancien ingénieur. Ce dernier relève suite à ses tribulations une hypothèse assez marquante qui explique la cause de la dégradation de la langue arabe au Maroc au profit d’une langue métissée. Il affirme : « nous ne serions plus en contact avec nos aïeux. […] Mais est-ce à cause de la vitesse ou de l’Histoire, ou bien […] à cause du langage ? Nous ne parlons plus vraiment leur langue. » (page 93).

Sachons, néanmoins, que Les Tribulations du dernier Sijilmassi ne répond pas aux concepts de la quête initiatique, et Adam est une parodie de héros qui, au lieu de finir dans son pays, en osmose avec sa terre natale, se trouve incarcéré dans une cahute, entre deux dunes, nu comme le premier homme, rejeté par la société marocaine ravagée par l’obscurantisme et le fanatisme religieux. Ce roman s’inscrit au cœur de la réalité tel un miroir tendu à l’actualité du monde arabe. Il offre une vision désenchantée du monde oriental ; celle qui fait des intellectuels des kouffar réduits à des pantins manipulés par l’État, la Religion. Le registre populaire se marie à une syntaxe très rhétorique tout en créant une distance comique, mettant en valeur le ton érudit du texte. Ce conte philosophique se double d’une réflexion sur la place de la culture dans cette société capitaliste où, la religion, domine encore sur tous les aspects de la vie quotidienne. Un appel à la laïcité est donc lancé par le biais de ce roman piquant et drôle, tribune d’un monde à refaire.


Christina Azar
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Licence en Langue et Littérature Françaises



La Femme qui dit non
Gilles Martin-Chauffier
Ed. Grasset & Fasquelle, 2014.


En marge et, pourtant, bien au centre…


            Inspirée de la grand-mère de l’auteur, Marge Evans retrace les moments clés de son existence. La Seconde Guerre mondiale éclate ; son père, un haut fonctionnaire en Angleterre préfère débarquer sur L’Ile-aux-Moines plutôt que de périr sous les coups des Français. A peine les pieds sur l’île, Marge se retrouve-t-elle victime d’un triangle amoureux. Elle épouse Blaise, un marin qui répond à l’appel de la France libre et s’engage auprès du général de Gaulle. Se croyant enceinte, elle ne l’accompagne pas bien qu’elle soit elle aussi partisane de la Résistance. Le dilemme de cette jeune femme se poursuit, l’accable et la laisse tiraillée entre le mari et l’amant, le père biologique de son fils.

            Martin-Chauffier peint méticuleusement la vie d’une femme vive, perspicace, qui rejoint la Résistance suite à l’appel du 18 juin mais qui éventuellement n’accomplit pas grand-chose à l’exception de certains actes isolés qui feront sa grandeur aux yeux de ceux qui l’auront connue. Dans cette île isolée, les jours défilent au pas de l’ennui. Alors que le monde entier sombre dans le désespoir, les meurtres, la rafle du Vel D’hiv, Marge s’élance dans une aventure amoureuse et passe ses journées au casino de la Baule et « patati et patata »… C’est l’après-guerre qui apporte un lot de traumatismes à notre héroïne avec le retour d’un mari qu’elle n’a jamais cessé d’aimer d’ailleurs et un lourd secret familial qu’elle porte depuis des années. Au fil des pages, Marge cherche à dénoncer la France d’alors. La France des religieux corrompus et des traîtres entrés en collaboration avec les ennemis au profit de leurs intérêts personnels.

La Femme qui dit non dit-elle vraiment non ? Certes non à la guerre, non au Maréchal Pétain et au gouvernement de Vichy mais elle a su si bien dire oui à la trahison, à l’adultère, aux mensonges, aux tables de jeux... Bref, oui à tout ce qui pouvait mener à la réussite de sa vie conjugale avec Blaise. Entièrement engagée dans ce qu’elle faisait, Marge illustre le portrait d’une femme forte, sûre de ses sentiments mais aussi de ses convictions.

Ce roman se révèle fortement ancré dans la lignée des romans féministes, au sens positif du terme, braquant la lumière sur une femme hors du commun, une femme bien déterminée, courageuse qui n’a peur de rien mais qui, comme toutes les autres, pleure, déprime et dévoile ses émotions lorsque les situations pèsent trop lourd. Elle réussit en fin de compte à retrouver son mari et son fils. Marge, comme son prénom l’indique, est à la marge des atrocités idéologiques et politiques, et au centre de la vie tumultueuse de la femme dans le temps et dans l’espace.    


Nour Saba
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des Lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Licence en Langue et Littérature Françaises


La Peau de l’ours
Joy Sorman
Gallimard, 2014, 157 p.


Un ours venu trop tôt dans un monde trop humain…


Ce n’est pas la première fois que Joy Sorman s’intéresse à ce rapport animal-humain. Là voilà dans ce roman en train de souligner la monstruosité qui existe à proportion égale dans les mondes humain et bestial.

L’enfant-ours, mi-homme, mi-bête, sort de sa caverne trois ans après le viol de sa mère commis par un ours. Ce dernier avait rompu le pacte établi entre les sociétés animale et bestiale, qui consiste du point de vue humain à ne pas chasser les ours tant que ceux-ci se tiennent à distance. Il ne s’était pas tenu à distance…

L’enfant-ours grandit et devient Ours, de mains en mains, vendu, utilisé pour les jeux de cirque, pour faire rire les hommes et, éventuellement, leur faire peur !

 C’est lui désormais le narrateur de l’histoire, sa perception des mondes humain et animal nous est transmis à travers son « je » pensant et analysant, un « je » plein d’émotions et de conscience. Un « je » sexuel, manifestant un désir pour la femme quel que soit son âge, jeune, adolescente ou quinquagénaire, cherchant peut-être l’image maternelle qui lui avait été interdite d’accès. Un « je » souffrant tout au long de ses voyages ne désirant plus sa vie telle qu’elle est et réclamant toujours son droit à l’identité et à l’appartenance humaine, car là où il se trouve, il n’est tout simplement pas. Il ne se considère, en effet, rien d’autre qu’« un morceau de forêt et de temps », et finit par se « laisser mourir », offrant sa peau à des analyses scientifiques humaines qui s’étonnent !

Ce roman, nous transportant dans le regard de l’Ours (doudou préféré de tout enfant habituellement) sur notre monde humain, nous incite à nous poser des questions sur l’étrange et inquiétante existence humaine et la véritable définition d’une monstruosité.


Joanna Zoghaib
Université Saint-Esprit de Kaslik
Faculté des lettres
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises 



Constellation
Adrien Bosc
Edition stock, 193p.


L’avion Constellation : de la mort et de la vie


Constellation est le premier roman d’Adrien Bosc (fondateur des éditions du Sous-Sol qui publient les revues Feuilleton et Desports), dans lequel il évoque un événement triste et affligeant qui a eu lieu le 28 octobre 1949, date marquée par le drame : l’avion Constellation, nouvel engin d’Air France, trouve son sort au large des Açores faisant quarante-huit morts, passagers et membres d’équipage inclus.

Parmi ces passagers, le célèbre boxeur, amant d’Edith Piaf, Marcel Cerdan, la violoniste Ginette Neveu, cinq bergers basques, une bobineuse alsacienne, un homme divorcé parti retrouver son épouse, etc.

En effet, le Constellation doit se poser sur le tarmac de Santa Maria au Portugal pour une escale de ravitaillement à 2h45. La tour de contrôle portugaise confirme alors l’autorisation de descente sous « conditions atmosphériques optimales et une bonne visibilité au sol ». Mais « à deux heures cinquante et une minute et deux secondes, un dernier message de la tour de contrôle au Constellation reste sans réponse ».  Que s’est-il passé ? Que peut-il être donc arrivé au moment même de l’atterrissage ? Effectivement, le Constellation demeure introuvable pendant plusieurs heures après le dernier message.

Bien plus, dans son roman composé de trente et un chapitres, Adrien Bosc retrace la vie des victimes, il s’intéresse à leurs carrières, leurs familles et surtout à l’objectif de leur départ à New-York, destination de la F-BAZN. ll revient sur les circonstances du crash qui ont mené à la catastrophe. Son intention est, sans doute, de redonner vie aux victimes qui, célèbres ou pas, ont eu le même sort tragique et insoutenable. Ainsi, à travers son style fluide et, surtout plein d’empathie, tous vont ressusciter, au moins le temps de la lecture du roman.

Ce premier roman d’Adrien Bosc est sans doute un rappel du devoir de mémoire, fût-elle de temps à autre, de gens qui nous ont trop tôt quittés et qui ne demandaient sans doute à la vie que de vivre encore…


Raquelle Dagher
Université Saint-Esprit Kaslik
Faculté des Lettres                                    
Département de Langue et Littérature Françaises
Master en Langue et Littérature Françaises



La Femme qui dit non
Gilles Martin-Chauffier
Éd. Grasset, 2014, 352 p.


OUI à La femme qui dit Non

            Avec La femme qui dit non, Gilles Martin-Chauffier, lauréat des prix Interallié et Renaudot, signe son nouveau roman. Mais mérite-t-il vraiment ce succès ?
           
            C'est l'histoire de Marge, vieille femme anglaise qui se remémore de son existence sur l'Ile-aux-Moines. Racontée à la première personne, cette saga familiale historique évoque les traces de la Résistance, de la Libération et des guerres coloniales. Avec ce roman, on plonge dans toutes les circonvolutions d'un pays aux prises avec trois guerres – l'une mondiale et les deux autres coloniales –, et ce avec une description détaillée, parfois monotone, de tous les aspects anglo-français disséminés tout au long du roman.

            La femme de Martin-Chauffier dit "NON" haut et fort en refusant d'être comme un zombie, mais dit "OUI" en s'ouvrant à la vie avec ses aventures. L'héroïne ressemble à la fameuse Madame Bovary de Flaubert, qui cherche la liberté dans les jeux de l’amour et de l’argent, à une différence près : la femme chez Martin-Chauffier a pu prouver son existence en devenant résistante durant la Seconde Guerre Mondiale. Cette aspiration à l'émancipation continue jusqu'à nos jours dans plusieurs sociétés, surtout arabes, où la femme cherche à se libérer des contraintes qui l'entourent et des refoulements dont elle est le sujet. Notons entre parenthèses que le nom de l'héroïne "Marge" n'est pas aléatoire : il met l'accent sur sa soif de la liberté.

            Grâce à son style simple et compréhensible, mêlant phrases courtes et longues avec une abondance de comparaisons ("raide comme un parapluie" et "mou comme la toile cirée"), Gilles Martin-Chauffier réussit à faire partager au lecteur ses idées en cernant un exemple d'émancipation féminine inspiré de sa grand-mère.

            Bref, on dévore ce roman qui mérite d'être en lice pour le prix Goncourt 2014. Un livre très agréable à lire où le plus original réside dans l'aspect un peu oublié de la guerre vécue côté Bretagne avec ses indépendantistes romantiques et engagés.


Monica Mimi Maurice
Université Ain Shams
Faculté Al Alsun
Département de Français
Sous la surveillance  de   Dr. Racha EL KHAMISSY


Tristesse de la terre
VUILLARD Eric
Actes Sud, 2014, 158 p.


Tristesse de la terre : une mise en scène de l'Histoire de l’humanité


            Dans Tristesse de la terre, Éric Vuillard jette la lumière sur une époque assez particulière de l'Histoire occidentale, notamment celle des États-Unis.

       La pierre angulaire est bien le personnage "William Frederick Cody" dit "Buffalo Bill" présenté aux lecteurs comme étant le personnage le plus célèbre de la planète ; Cody a joué un rôle sans précédent dans le domaine du divertissement américain. En inventant le "Wild West Show", la réputation de Buffalo Bill devient mondiale. Ce n'était jamais un simple "show" mais la base du "Reality Show".

        La réussite de Buffalo Bill est avant tout due aux spectateurs. Grâce à leur passion, notre héros a fondé la société de "Showbizness", étrange amalgame entre les jeux du cirque et les spectacles à couper le souffle.

            Le message du roman réside dans la confrontation du sauvage et du civilisé. Le massacre de "Wounded Knee" ou le génocide des Indiens est une souillure à l’Histoire. L'homme blanc ou « prétendu civilisé » a été la cause de l'extermination tragique du « prétendu » sauvage représenté par les Indiens. Dans le "West show" les Indiens doivent mourir pour générer des scènes comiques !

          L'auteur possède un style précis : chaque terme est utilisé à sa juste place. L’auteur redéfinit parfois quelques mots pour mieux les adapter à son univers : par exemple, la "bataille" devient synonyme de "massacre" et les "indiens" sont bien des" rescapés". En utilisant quelques termes anglais comme "Showbizness" et "Reality Show", l’auteur ajoute une retouche de crédibilité à son style.

            En lisant cette œuvre, nous avons cette sensation étrange d’être connecté avec le passé. Tristesse de la terre est à lire ; les deux derniers chapitres sont passionnants. Ils transmettent un message explicite : "le monde est comme est homme : il nait ; il grandit ; il meurt." (Saint Augustin). Et à notre grande surprise, "le présent rejoint le passé et les morts rejoignent les vivants". À la fin du roman, tous changent et dérangent : il ne s’agissait pas de société de spectacles mais d’une nouvelle "Zone" d'imagination représentée par la cinématographie et le monde de Hollywood.


Sarah Mourad
Université Ain Shams
Faculté Al Alsun
Département de Français



La Peau de l’ours
Joy Sorman
Ed. Gallimard, 2014, 157 p.


« La peau de l’Ours »… Ou le  trésor gaspillé
Je vois, je sens, j’entends



            Après Comme une bête qui explore le monde animal Joy Sorman écrit un autre roman qui discute plusieurs problématiques : la violence des hommes à l’égard de la communauté animale, les superstitions, le harcèlement sexuel, et ce à travers la vie misérable d’une créature mi-homme, mi-ours. Cette créature unique a vécu pendant des années au service des hommes sans qu’ils ne se doutent de sa vérité : il ne s’agit pas d’un ours ordinaire mais d’un être ayant des caractères humains susceptibles d’être appréciés. Sa famille l’a délaissé et vendu au premier montreur d’ours passé, après avoir tué son père et s’être débarrassé de sa mère.

            Cette histoire incongrue est pleine de descriptions. L’auteur donne à voir l’espace, les couleurs, la physionomie des personnages, et laisse entendre les sons. Le plus important demeure tout de même l’analyse des sentiments. Chaque phrase descriptive a une fonction. Aucune monotonie n’est ressentie au cours de la lecture. La comparaison et l’antithèse sont les deux procédés stylistiques dominants.

            J’ai beaucoup aimé cet ouvrage à la fois intéressant, touchant et plein d’émotions. Je me sentais dans la peau de cet ours : je vois, je sens, j’entends.


Lina Kotb
Université Ain Shams
Faculté Al-Alsun
Département de français


Les Tribulations du dernier Sijilmassi
Fouad Laroui
Éd. Julliard, 2014, 330 p.

À la quête d’une position médiane

           
            "Voilà épiphanie. Ça veut dire prise de conscience soudaine quelque chose comme révélation’’ (p. 42). Tel est le sentiment qui envahit l'ingénieur marocain Adam Suijilmassi lors d'un voyage d'affaires. Cet état surprenant le mène à se poser une question cruciale qui va bouleverser sa vie : "Que fais-je ici ? (p. 10). Il s'agit selon Sijilmassi de retourner à l'origine pour trouver une réponse.

Ayant démissionné, l'ingénieur est obligé de quitter son appartement de fonction. Pourtant, il décide de se plonger dans la philosophie et la civilisation des génies de l'Andalousie arabes. Trouvera-t-il un refuge dans ses origines?

D'ailleurs, dans la toile de fond de l'aventure de ce Suijilmassi, Fouad Laroui révèle les changements que subissent les sociétés arabes – et en particulier la société marocaine. Une différence fondamentale sépare les jeunes, avec leurs grandes aspirations loin de la patrie d’une part, et les ancêtres conservateurs des origines et de l'Histoire de l’autre : "Qu'est-ce qui nous est arrivé? Je veux dire nous les Marocains? Mon grand-père vivait paisiblement du coté d'Azemmour, qu'il n'a jamais quitté? Mon père n'a jamais pris l'avion. Pourquoi vivons-nous si pressés, affairés? " (p. 44).

Il semble évident qu'Adam souffre d’aliénation car il est incapable de mener une vie sociale normale dans son pays natal : "Convaincu qu'il vit la vie d'un autre" (p. 10).

Dans un style vif et inimitable, avec son ironie coutumière, Fouad Laroui signale la désintégration dont souffrent les pays arabes. Privilégiant leurs intérêts personnels, les Musulmans sont divisés : "entre le Makhzen et la secte du pseudo Bassine" "Vous choisissez qui ? " (p. 289)

Très sérieux et critique, le sujet de l'Islam et l'islamisme est traité avec une extrême légèreté, mettant en vedette des réflexions sur la société et la jeunesse manipulée. Une description détaillée et vraisemblable de la vie d'un jeune ingénieur valorise cette œuvre pleine des substances empruntées à la culture arabe : "Darija  …. 'aql".

Enfin, la réponse de départ est très claire. La solution proposée par Laroui consiste à adopter une position médiane : "le juste milieu". Ce roman véhicule un message adressé aux jeunes arabes. Il vaut mieux laisser passer les désaccords, les conflits et les déchirements : "le retrait voilà la vraie victoire" (p. 324).  
                                                                                                                                          

Salma Mohamed Mahmoud
Université Ain Shams
Faculté Al-Alsun
Département de Français


On ne voyait que le bonheur
Grégoire Delacourt
Éditions J.-C. Lattès, 2014, 359 p.


Eh bien … « On ne voyait que le bonheur » !

            "On ne voyait que le bonheur", roman sur les vraies valeurs, l’enfance, l’adolescence et l’âge mûr, est le quatrième roman de Delacourt. L'auteur a choisi un titre énonciatif, titre d'exception dans la mesure où, malgré la douleur et le malheur du héros, un seul sentiment est visible aux yeux de tous, le bonheur: « on ne voit pas mes larmes d'alors. On ne voyait que le bonheur » p. 77.
Antoine, le narrateur-héros, raconte la souffrance éprouvée au sein de sa famille depuis son enfance: « j'ai grandi dans le manque. Je m'écorchais dans le vide » (p. 47). Toutefois, les autres sentiments éprouvés par le héros restent imperceptibles par son entourage.
            Le roman se révèle être également une quête de pardon, le père cherchant à se faire pardonner par son fils: « à sa manière, il demandait pardon » (p.164) et implore le pardon de Joséphine: « je te demande pardon, Joséphine » (p. 345).
Ce roman touchant soulève indirectement des interrogations : est-il vraiment si pénible de demander pardon? Le passé est-il si difficile à oublier? Style vif, phrases courtes, mais d'une force remarquable, l’ouvrage comporte des descriptions longues et détaillées où l’imparfait itératif est le mode élu.
            Je vous conseille de lire ce roman qui nous plonge dans l'ambiance familiale.   


                                                                                                                                                                           Amira EL-DAKHS
Université Ain Shams
Faculté des langues (Al-Alsun)
Département de Français                       
           
           
           
           
On ne voyait que le bonheur
Grégoire DELACOURT
Ed. J.-C. Lattès, 2014, 360 p.



Phénix, renais de tes cendres !
«Nous n’étions pas une famille à câlins […]. Chez nous, les sentiments restaientà leur place; à l’intérieur. Si on mekidnappait […], toi et papa […] vous me sauveriez? […] Bien sûr, Antoine,avait-elle murmuré. On donnerait notre vie pour toi. […] Je n’ai jamais étékidnappé. Ils n’ont donc jamais donné leur vie pour moi. Et je n’ai pas étésauvé » (p. 18). Que recèle l’avenir pour une personne assujettie à une enfancecruelle, dévastée par des péripéties pernicieuses ? Dans son quatrième roman,Onne voyait que le bonheur, construit en forme de triptyque, GrégoireDelacourt met en exergue les séquelles engendrées par la dégradation des liensfiliaux et le manque d’amour au sein d’une famille française contemporaine,dont les membres sont enclins à un isolement saccageant.
Aufil des pages qui vacillent entre lamatérialité apparente (titres des chapitres) et un humanisme latent, nousplongeons dans les souvenirs les plus intimes d’Antoine, un assureur qui pensela vie en chiffres mais qui n’arrive pas à évaluer la valeur de la sienne.Grâce à un rythme saccadé et rapide qui accentue la fuite inexorable du temps àtravers les années, le narrateur nous divulgue, astucieusement, le véritableprix des choses: leurs empreintes indélébiles sur l’âme humaine.
Grandissanten silence en proie au vide avec son père «lâche», Antoine a précocementabandonné le rivage serein de l’enfance pour se noyer dans le monde desresponsabilités et de l’indifférence, ce qui sèmera dans son futur les épinesdu mal. En effet, sa mère meurt esseulée, sa femme, Nathalie, le trompe ets’absente de la maison, son père souffre d’un grave cancer. Désormaissolitaire, il essaye de ne pas ressembler à ce dernier en tentant d’infléchirl’itinéraire de sa famille en vue de la sauver « [Il voulait] que [ses]héritages s’arrêtent avec [lui] » (p. 200). Arrivera-t-il donc à épurer sonesprit des erreurs et des débris délétères du passé qui ont transformé sonexistence en une silencieuse agonie? Pourra-t-il reconstruire sa vie durant sonexode sur la côte Ouest du Mexique? Une seule chose est sûre: sa rencontre avecun petit enfant, Arginaldo, présagera d’une profonde mutation…
Aprèsune longue narration imprégnée d’émotions dans laquelle il interpelle son filset parfois le lecteur, le protagoniste cède la parole à sa fille, Joséphine, endemeurant omniprésent. Les titres prennent alors la forme de dates etmétamorphosent le récit en une sorte de journal intime qui met en lumière, àl’aide d’un style cruel mais reflétant le réel, la nature de la relationpère-fille. Sombrant toujours dans le manque d’amour, moralement abattue maisforte, la narratrice sera-t-elle capable de s’émanciper de son adolescence «orpheline » ? Opérera-t-elle les bons choix pour cheminer vers la paix ?
Dansce roman intimiste qui révèle diverses conceptions de l’amour, s’esquisse leportrait de deux femmes romantiques : Fabienne, la mère du narrateur qui«avait préféréla violence de la solitude à l’absence de passion, acceptéla chute pour n’être pas montée assez haut » (p. 164) et sa femme, une EmmaBovary moderne, qui ont une grande influence sur sa vie de couple. D’ailleurs,les analepses récurrentes dévoilent les parcours psychiques des personnagesainsi que la quête de soi. Par conséquent, le narrateur s’avère être unpsychologue qui cherche à discerner les germes de ses « maladies » dans lesténèbres de son enfance périclitée afin de s’en affranchir.
Grâceà un style simple mais percutant, une analyse psycho-sociétale émouvante et desréférences culturelles diversifiées, le lecteur est invité à une introspection,à une méditation sur la valeur de son existence dans une société deconsommation où tout a un prix. Antoine qui se compare au « Fils de l’homme »(p. 191) dans le tableau de Magritte ne nous initie-t-il pas à rechercher cequi est occulte derrière les apparences mensongères ? Sur les photos de safamille, « on ne voyait que le bonheur ». Toutefois, « le bonheur est une telleivresse, une telle violence qu’il emporte tout. Les pudeurs. Les peurs. Il peutêtre si douloureux, il peut faire vaciller, anéantir. Exactement comme lemalheur » (p. 254).
Quandon est capturé dans les mailles de la souffrance, « on attend un ange,bienveillant, qui se penchera sur vous, qui vous sauvera. Mais les anges neviennent pas. Les hommes ne se relèvent jamais, c’est ce qui les rend touchants[…]. Leurs mains s’agrippent au vide de leurs illusions […]. La vie n’estqu’une longue chute »(p. 140).
Prêtantla voix à plusieurs personnes à travers un discours indirect libre touchant,Grégoire Delacourt traite des problèmes de la famille auXXesiècle en décelant, au fur et à mesure que lanarration progresse, les prémisses d’une solution permettant l’accès aubonheur. Pourrait-on alors renaître malgré tous les problèmes qui perturbentnos vies ? Serons-nous à même de purifier nos esprits dans l’espoir d’unenouvelle éclosion intrinsèque, salutaire ? Aux lecteurs de découvrir la réponse!


Layal DAGHER
UniversitéLibanaise – Section II
Facultédes Lettres et des Sciences humaines
Départementde langue et littérature françaises

 
La peau de l'ours      
Joy SORMAN
Ed. Gallimard, 2014


L'animal expatrié


            Dans son roman intitulé La peau de l'ours, Joy Sorman met en relief les relations, parfois amicales mais très souvent violentes, entre les hommes et les animaux. « Et sans enfants plus d'ours, plus de singes, et sans ours et sans singes plus d'enfants, nos destins sont liés » (p. 80). « Les hommes ne nous laisseront donc jamais en paix, ils ne songent qu'à nous déplacer, nous acheter et nous vendre, nous charger et nous décharger » (p. 59).

            Dans ce roman qui est sous forme de conte fantastique, l'auteure rassemble les deux mondes, humain et animal. Mais elle s'immerge plus particulièrement dans le monde des bêtes. Il s'agit de l'accouplement d'une femme avec un ours et cette union donne naissance à un narrateur hybride, mi-homme mi-ours. Joy Sorman nous raconte la vie malheureuse de l'ours et son destin de marchandise, tour à tour vendu à un montreur d'ours, à un cirque puis à un zoo. L'ours plonge dans la dureté de la vie en se déplaçant d'un milieu à un autre mais il finit par se résigner à son sort et par subir les mauvais traitements de l'être humain, non par faiblesse mais par intelligence. En fait, il sait que l'homme gagne toujours, aussi affirme-t-il : « avoir échappé à  la condamnation à mort, avoir arpenté des continents, traversé un océan, avoir montré l’étendue de mon talent, fait preuve de docilité et d’intelligence, m’être adapté à toutes les situations et toutes les géographies, avoir collaboré avec les hommes, travaillé à leurs côtés pour préserver ma vie, mon secret pour ne pas finir une balle dans la tête, sur un billot, dans un fossé » (p. 134). 

            Dans son livre, Joy Sorman se comporte comme un psychologue qui analyse les sentiments de l'ours, tantôt heureux avec les hommes pacifiques et tantôt énervé et triste avec les hommes violents. De plus, elle met l'accent sur les rapports de force qui s’instaurent entre les hommes et les animaux. « Mais si on ouvrait les enclos, comblait les fossés, arrachait les clôtures électriques, ces hommes hilaires qu'on a vus agresser leurs frères animaux fuiraient à toutes jambes, apeurés et honteux » (p. 124).

            Dans ce conte, l'ours a envie de reprendre un aspect humain et d'être ami avec les hommes. Il a tendance à aimer davantage les femmes, image de la mère qui lui manque et de l'amante qu'il n'ose pas avoir, pour ne pas voir son histoire se répéter.

            Dans ce roman il n'y a ni temps ni espace précis, comme si cette histoire a lieu à chaque spectacle où l'homme exploite l'animal, dans chaque cirque et zoo du monde. En effet, Joy Sorman n'a pas donné un prénom à l'ours, pour marquer l'identification de ce dernier à tout ours ou tout autre animal enlevé à son milieu naturel.
           
            Son récit est écrit linéairement, il est dépourvu d'humour et de surprise avec une fin dramatique. Il serait intéressant de rappeler que l'auteure a mêlé la mélancolie, la réalité et la fantaisie dans un seul roman et ce, pour inviter le lecteur à penser à la réalité amère des animaux quand ils sont loin de chez eux et sous la tutelle des hommes, qui se montrent sauvages et sans pitié envers eux.

            Ce roman est une bonne leçon donnée au lecteur qui, pour la première fois, entend le point de vue de l'animal. Il contient des pages destinées aux élèves qui montrent que le zoo par exemple est « une fiction animale et un rêve humain », rêve souvent montré comme tel dans les livres scolaires alors que le cauchemar des animaux y vivant est souvent camouflé.

            En somme, l'auteure se sent responsable. Elle veut agir, par l'écriture, afin de défendre le monde animal.


Eliane Daher
Université Libanaise - Section II
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de langue et littérature françaises





Les tribulations du dernier Sijilmassi
Fouad Laroui
Ed. Julliard, 2014, 330 p.   



Deux mondes fatalement séparés

            Dans Les Tribulations du dernier Sijilmassi, le dernier roman de Fouad Laroui, la réflexion philosophique côtoie la religion et la politique. Les sujets [protagonistes ?] y sont victimes de moquerie et tournent en dérision certains de leur travers : « J’écris pour dénoncer des situations qui me choquent. La méchanceté, la cruauté, le fanatisme, la sottise me révulsent ». Les romans de F. Laroui sont écrits en français ; ils connaissent un grand succès au Maroc, son pays natal, pour sa façon de dénoncer les blocages et les tabous de la société marocaine.

            Adam Sijilmassi, le héros du roman, est un brillant ingénieur marocain pétri de culture française. À l’âge de 40 ans, il subit un choc et commence à ressentir à quel point cette vie toute tracée n’est pas la sienne. Aussi décide-t-il de retourner à Casablanca. Adam gagne à pied sa ville natale et s’installe dans la maison familiale. Il y découvre les livres de son grand-père et la philosophie arabe du XIIe siècle. Il va avoir grâce à cette documentation une révélation du vieux conflit entre le cœur et la raison. De grandes interrogations le préoccupent sur l’Islam et sur le monde arabe, sur les rapports entre anciens colonisés et Occidentaux ou tout simplement sur l’absurdité des règles qui gouvernent le monde moderne. Cette interrogation métaphysique appliquée à l’Islam va l’entraîner dans des discussions passionnées avec l’un de ses cousins, Abdelmoula. C’est ce contexte qui encadre et régit les tribulations d’Adam, lui réservant ainsi une fin dramatique dans le dénuement et le désarroi.

            Dans ce conte philosophique moderne, Fouad Laroui s’amuse à mettre en lumière la coexistence de deux mondes qui semblent très proches, mais que tout sépare. Un mode de vie contemporain face à un mode de vie traditionnel.

            Adam Sijilmassi, le héros du roman, est l’alter ego de l’auteur. Tous les deux sont marocains, ils ont à peu près le même âge et partagent un penchant similaire pour la philosophie et la littérature.

            Le dernier Sijilmassi et Laroui abandonnent leur carrière pour se reconnecter avec leur origine, leur ville natale et leur amour pour l’écriture. Dans l’œuvre, tout commence avec la question qu’Adam se pose dès le premier chapitre : « Qu’est-ce que je fais ici ? ».

            Cette œuvre intéressera non seulement les Libanais mais les peuples de tous les pays arabes, parce qu’elle traite de sujets actuels qui les touchent aux niveaux politique, religieux et social. De plus, non seulement les Orientaux mais aussi chaque être pourra s’identifier au personnage principal et à sa situation. La réalité fictive présentée dans Les Tribulations du dernier Sijilmassi pourrait rappeler à chaque homme le désir dissimulé et clandestin de toucher au plus près les racines de la vie que l’on a ignorées au sein d’une société envahie par les technologies dominantes.

            Enfin, l’auteur a su, à travers son œuvre, impliquer le lecteur et lui transmettre subtilement ses pensées. Il y insère beaucoup de citations françaises pour mieux illustrer ses idées, par exemple celle de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison ne connait point ». On y trouve également, tout au long de l’œuvre, des noms et des expressions arabes comme « Hayy Ibn Yaqzân », « haram », « shaytan » ou encore « A’oudou billah ». Le style d’écriture de l’auteur est fluide et motivant, ce qui facilite l’entrée du lecteur dans l’univers de l’œuvre.
 

Betty TOROSSIAN
Université Libanaise - Section II
Faculté des Lettres et des Sciences humaines
Département de Langue et Littérature françaises

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